Rien de plus dérisoire que d’imaginer une programmation sur l’influence du cinéma d’alfred Hitchcock. quel film aujourd’hui pourrait ne pas revendiquer sa dette à l’auteur de Psychose ?
Il y a eu dans l’histoire de ce que l’on a appelé le cinéma classique américain, un moment où celui-ci, au sommet de sa plénitude esthétique, a produit des films voués à devenir des oeuvres-matrices, témoignant d’une forme d’aboutissement formel qui allait déterminer en profondeur le cinéma des années qui suivront. Ne dira-t-on pas (trop facilement peut-être ?) que tel film est « fordien », « langien », « hawksien », ou bien sûr « hitchcockien ». Certes, si des oeuvres comme The Searchers (La Prisonnière du désert), Rio Bravo, The Big Heat (Règlement de comptes) ont inévitablement servi d’inspiration à la génération de cinéastes d’envergure qui allait suivre les grands maîtres, que faudrait-il dire d’une grande partie des films qu’Hitchcock réalise au moment de sa maturité professionnelle ? quel thriller d’aujourd’hui ne continue t-il pas de payer sa dette à Vertigo (Sueurs froides) ou à North by Northwest (La Mort aux trousses) ? quel film d’épouvante moderne ne descend-il pas, en ligne directe, de Psycho (Psychose) ou de The Birds (Les Oiseaux) ?
C’est moins les « thèmes » abordés par le cinéaste que les moyens mis en oeuvre par celui-ci pour mettre en condition le spectateur, qui serviront de leçon, voire de méthode, à l’industrie du divertissement, quitte à perdre parfois en chemin toute la dimension métaphysique, la noirceur du regard, le pessimisme philosophique qui ont aussi caractérisé le cinéma de l’auteur de Frenzy. ainsi, envisager une programmation sur le thème « Après Hitchcock » obligerait à mettre sur pied une interminable rétrospective de films réalisés depuis un demi-siècle, imprégnés de la lettre sinon de l’esprit hitchcockien. Il s’agira donc, plus modestement, de montrer une trentaine de titres dont il est à peu près évident que la filiation hitchcockienne y est consciente, la volonté de relecture délibérée, la leçon parfois intégrée en profondeur et non superficiellement.
Remakes conceptuels
Il y a bien sûr, dans un premier lieu, les remakes. Reprise d’un film antérieur ou nouvelle transposition d’un roman déjà adapté par Hitchcock, l’épreuve est souvent redoutable bien sûr pour ceux qui tentent de refaire ses chefs-d’oeuvre. Mais il faudra plutôt voir ces films comme un parcours ludique, s’amuser de la comparaison entre les titres, s’étonner aussi, parfois, de la façon dont certains, adoptant des partis pris totalement opposés à ceux du maître, sont parvenus à éviter le danger d’une répétition forcément décevante. On verra ainsi, entre autres, deux autres adaptations du roman de Mary Belloc Lowndes, The Lodger, par le méconnu John Brahm (1944) et par l’à peine moins méconnu Hugo Fregonese (1953). En adoptant le principe de refaire quasiment plan par plan Psycho, Gus Van Sant quant à lui est parvenu en 1998 à produire un objet conceptuel, aiguisant encore davantage notre appréhension critique du film d’origine par la découverte de ce qui se joue, dans le rapport avec sa propre version, entre répétition et différence, et surtout avec la distance du temps.
Plagiats et relectures
Un certain nombre de récits filmés par Hitchcock ont été repris, retravaillés, « trivialisés » parfois par un cinéma d’exploitation inventif dans le plagiat et peu inhibé. On retrouvera ainsi la structure de Vertigo dans A doppia faccia (Liz et Helen) de Riccardo Freda en 1969, etUna sull’altra (Perversion Story) réalisé la même année par Lucio Fulci.
Mais celui qui s’est le plus spectaculairement approprié le cinéma d’Hitchcock pour en faire une relecture passionnante, à la fois savante et romantique, est bien sûr Brian de Palma. Obsession reprend en 1977 la structure de Vertigo pour en faire une méditation sur le cinéma lui-même, l’impossibilité de retrouver un objet perdu à jamais et la nécessité de le chercher quand même, horizon indépassable de la génération hollywoodienne qui débute à la fin des années 60. Rear Window (Fenêtre sur cour), Vertigo encore ou Psycho font l’objet d’un traitement particulier dans Dressed to Kill (Pulsions) en 1980 ou Body Double en 1984. De Palma entre dans les images d’Hitchcock non seulement pour les décortiquer mais pour les faire exploser.
D’autres cinéastes ont témoigné d’une connaissance en profondeur du cinéma d’Hitchcock. Mario Bava convoque travestissement et OEdipe mal réglé en droite ligne d’un Psycho vers lequel il effectue, en 1969, une sorte de retour maniériste dans son Rosso segno della follia. Quant au thriller paranoïaque de Roman Polanski, Frantic, il est facile de voir à quel point la subtilité de la mise en scène se met au service de la peinture d’une réalité devenue étrangère au héros du film. Par ailleurs, de grands cinéastes français ont eu de celui-ci une connaissance intime, précise, juste. De Truffaut qui, dans La mariée était en noir en 1967, utilise à bon escient quelques recettes hitchcockiennes, à Chabrol qui, dans Masques en 1987, reprend, tout en en déplaçant les enjeux, la structure de Notorious (Les Enchaînés), en passant par Jean-Claude Brisseau et son magnifique Ange noir réalisé en 1992.
Quelques films entretiennent avec Hitchcock un rapport original, introduisant celui-ci dans la fiction elle-même, comme Le Confessionnalde Robert Lepage, imaginant un récit à partir du tournage de I Confess (La Loi du silence) à Montréal, ou bien cet étrange essai de réflexion sur le double et la Guerre froide dans lequel Hitchcock apparait comme une figure récurrente, Double Take de Johan Grimonprez réalisé en 2009. Non, le cinéma n’est pas prêt d’en avoir fini avec Hitchcock.