« Allons, mon enfant, si nous avions l’intention de te faire mal, crois tu que nous irions rôder ici près du sentier dans le coin le plus sombre de la forêt ? » (Kenneth Patchen, But Even So, 1968)
Dans tout film d’horreur qui se respecte, il y a une forme de progression. Le spectateur doit avoir peur. La mort et la souffrance ne sont souvent pas immédiates. Il y a un sentier à parcourir avant d’y parvenir. Le public répond au film d’horreur par des cris ou en se recroquevillant dans son siège. Et c’est tout un travail que de parvenir à provoquer ce type de réaction. Les cinéastes s’amusent en quelque sorte avec le spectateur via des effets de mise en scène pour surprendre le spectateur là où il ne s’y attend pas. Hors champ, suggestion visuelle et sonore, montage… « La question n’est pas de savoir s’il va se passer quelque chose, mais quand cela va se passer. Tout le jeu consiste à faire croire que ça va se passer maintenant et de ne pas le faire arriver ; ainsi on fait monter l’anxiété, on met le spectateur dans un état d’attente et on fait arriver la surprise au moment où il s’y attend le moins » (Olivier Assayas, Entretien avec John Carpenter, Cahiers du Cinéma N°339, 1982)
PREMIERE PARTIE : LE HORS CHAMP
Dans un premier temps, étudions l’importance du hors champ dans le cinéma d’horreur. Le hors champ constitue ce qui n’est pas visible dans le cadre, autrement dit dans le champ de la caméra. Et c’est là que se tapit généralement la menace avant de surgir et de dévoiler toute l’étendue de son horreur. Prenons Les Dents de La Mer réalisé par Steven Spielberg en 1975. Un grand requin blanc sème la terreur dans une petite station balnéaire d’ordinaire paisible. Le spectateur sait qu’un requin attaque les baigneurs mais il ne le verra vraiment à l’écran qu’à la moitié du film !
Spielberg a choisi de ne pas montrer le monstre mais plutôt de suggérer sa présence, laissant libre cours à l’imagination la plus débordante. (La légende voudrait que le requin mécanique prévu pour les séquences d’attaque se soit retrouvé malencontreusement en panne, obligeant Spielberg à reconsidérer sa mise en scène…). C’est bien simple : la peur n’est-elle pas amoindrie lorsque que Brody interprété par Roy Scheider se retrouve nez à nez avec le squale ?
« La monstration […] annihile non seulement tout fantastique, mais surtout toute peur. Il n’y a plus rien ‘derrière’ ou ‘au-delà’ de ce qui est montré » (Eric Dufour, Le cinéma d’horreur et ses figures, 2006).
En effet, le hors champ stimule l’imagination. C’est du domaine du mystérieux, de l’insondable. Quoi de plus effrayant que de ne pas voir ce qui est pourtant tout près? Le spectateur est mis à contribution, libre d’imaginer le pire, influencé par ses craintes et cauchemars les plus profonds.
Certains films vont malheureusement révéler trop vite le vrai visage de ce qui opérait hors cadre et du coup perturber ce qui avait été auparavant mis en place. Ce qui est enfin dévoilé peut dès lors apparaître comme décevant voire grotesque.
Exemple de Jeepers Creepers réalisé en 2000 par Victor Salva, « si le boggeyman s’avère très classe lors de sa première apparition dans la pénombre, la découverte de son visage est pour le moins décevante. L’acteur Jonathan Breck (Spiders) semble affublé d’un masque d’Halloween ridicule » (Critique films-horreur.com, lire ici). Le regard a dès lors une fonction bien évidemment importante. Ce que le spectateur, aussi bien que la victime, ne voit pas se révèlera d’une quelconque manière. Et c’est cette frontière entre le vu et le non-vu qui assure le sentiment de peur. « La peur est affaire d’incertitude et la précarité du hors-champ, sa constante possibilité d’entrer dans le champ et d’en changer sa nature, en constitue la pierre angulaire » (Luc Lagier, Mythes et Masques : Les Fantômes de John Carpenter, 1998).
Dans Alien, Le 8e Passager de Ridley Scott (1979), la créature extraterrestre rôde mais reste la plupart du temps hors-champ. Elle reste cachée dans l’espace non visible pour mieux surprendre et contaminer l’espace visible par surprise. Tout repose sur l’effet d’attente, le stress, la paranoïa. La séquence où Brett part à la poursuite du chat dans le Nostromo est construite intégralement sur le mode de l’angoisse.
Bien souvent, le film d’horreur fonctionne par touches, l’intérêt étant d’aller crescendo dans l’angoisse avant de nous révéler le véritable visage de la peur. Citons Jeu D’enfant (Tom Holland – 1989), le premier opus nous présentant les méfaits de la poupée Chucky, Simetierre (Mary Lambert – 1989), The Descent (Neil Marshall – 2005), ou encore Signes (M.Night Shyamalan – 2002).
Bien sûr, dans des films comme Halloween ou Vendredi 13 (deux œuvres à ranger dans la catégorie des Slasher Movie), il est d’office établi que c’est un tueur à apparence humaine qui officie, donc l’horreur, contrairement à Alien n’a rien de véritablement inconnu et de mystérieux, du moins en apparence.
Dans le premier volet d’Halloween réalisé par John Carpenter, c’est la capacité qu’a Michael Myers de passer rapidement du champ au hors champ qui terrifie. Il suffit en effet que Jamie Lee Curtis dévie le regard pour que le tueur qu’elle a aperçu dans son jardin par la fenêtre deux secondes auparavant ait disparu…
Un effet bien souvent utilisé, au point qu’il en est devenu aujourd’hui l’une des plus grandes ficelles du genre. Une séquence particulièrement efficace dans Cujo (Lewis Teague, 1983) reprend ce principe. Un plan nous montre le chien enragé guettant près de la voiture où Donna et son fils se sont enfermés. Le plan suivant : Donna s’accroupit pour regarder sous la voiture et le chien n’y est plus. Ce qui était dans le champ quelques secondes auparavant, et permettait donc de situer clairement le danger, a disparu, menaçant d’apparaître n’importe où et n’importe quand… La manipulation par le montage et le recours à l’ellipse. Le mal s’approprie l’espace et le temps.
L’ellipse est un outil supplémentaire important. Le temps est dilaté dans le cinéma d’horreur et le danger évolue dans l’ellipse.
Pour revenir à Halloween, une autre facette du génie de John Carpenter a été de jouer justement sur les deux espaces, l’espace vu et l’espace non visible : « Le champ lui- même se compose d’un espace vu et d’un espace non lisible. Une zone d’obscurité dans le champ par exemple représente également un élément de danger. Carpenter joue sur cet aspect inquiétant d’un espace dominé mais dont certains éléments restent instables alors qu’ils sont pourtant inclus dans l’espace visible. […] Il joue également sur le flou optique entre le premier et l’arrière plan » (Luc Lagier, op.cit.)
Nous retrouverons ce procédé dans son film suivant à savoir Fog (1980), où des fantômes revanchards terrorisent un village de pêcheurs plongé dans un brouillard inquiétant.
Contrairement au film gore qui exploite la monstration pure et simple, le film d’horreur travaille davantage comme nous l’avons dit auparavant sur l’imagination du spectateur, même si il comporte effectivement quelques scènes gores venant apporter une complémentarité à ce genre axé sur le sensationnalisme et le spectaculaire. Certaines séquences de Vendredi 13 de Sean S.Cunningham (1981) sont certes gores mais néanmoins assez courtes et espacées quand on compare avec tout ce qui a auparavant été mis en place (le suspense, les courses poursuites, les points de vue subjectifs, la musique angoissante) et certains meurtres ne sont pas montrés, se déroulent hors champ ou le temps d’une ellipse. Le spectateur ne se verra offrir que les vestiges du massacre qui a eu lieu : une jeune fille qui s’est reçue une hache en plein visage, un homme transpercé par des flèches de tir à l’arc…
La violence peut très bien se passer d’effluves de sang et de plaies béantes, il n’y a qu’à se référer au célèbre Psycho du Maître Alfred Hitchcock pour attester ceci. La séquence de la douche est d’une violence inouïe, le meurtre est radical et sauvage mais Hitchcock n’a pas versé dans l’hémoglobine et dans la mutilation visuelle, il a bien compris que la violence et le sentiment de terreur pouvaient tout aussi bien passer dans un montage agressif et une musique stridente devenue dès lors un des thèmes les plus célèbres du cinéma. Et les meilleurs réalisateurs de films d’horreur n’auront de cesse de s’inspirer de cette œuvre marquante.
Analyse par Sébastien Dm