DEUXIEME PARTIE : LA SUGGESTION SONORE ET VISUELLE
Un film d’horreur réussi est un film d’horreur qui va parvenir à créer une ambiance anxiogène. Tout l’intérêt est de créer une tension progressive et pour cela des outils s’avèrent souvent indispensables. Si le hors champ est effectivement utilisé pour accroître la sensation de danger qui peut surgir du cadre à n’importe quel moment, il peut être incarné par un son particulier : une respiration menaçante dans Halloween (John Carpenter, 1978), un rire inquiétant dans Ça (Tommy Lee Wallace – 1990), ou encore des bruits sourds et des voix dans la cave d’Amityville, la Maison du Diable (Stuart Rosenberg – 1980).
« Ce n’est pas le sonore qui invente le hors-champ mais c’est lui qui le peuple, et qui remplit le non-vu visuel d’une présence spécifique » (Gilles Deleuze, Cinéma N°2 : L’Image-temps, 1985)
« Toute présence acousmatique déstructure l’espace visuel qui, par définition, ne la contient pas. Mieux, elle injecte dans le cadre une sensation de hors champ, flottante, incertaine, qui ouvre l’image sur son fond. Ce n’est alors plus le cadre filmique qui génère de facto un hors champ mais la bande son, utilisée ici à des fins purement visuelles » (Jean-Baptiste Thoret, Simulacres N°1 : Filmer la peur, 1999)
Le spectateur qui a peur, à défaut de voir écoute. L’inconfort sonore est dès lors un élément supplémentaire quant à l’instauration d’un climat angoissant. Il atteste concrètement d’un danger qui peut frapper à tout instant, sans que le personnage ou le spectateur puisse en définir précisément la source. Les films en mode found footage comme Le Projet Blair Witch (Daniel Myrick & Eduardo Sánchez – 1999), [REC] (Paco Plaza & Jaume Balagueró – 2007) ou encore Paranormal Activity (Oren Peli – 2009) travaillent beaucoup sur la mise en scène sonore au milieu d’une vague de films qui depuis la fin des années 1990-début des années 2000 misent sur une violence graphique de plus en plus prononcée (Saw, Hostel & Cie).
A cela vient évidemment se rajouter la musique. Celle-ci peut aussi effectivement suggérer la source de l’horreur à venir grâce à l’usage d’un thème particulier ou d’un leitmotiv. Par exemple pour Les Dents de La Mer, dès qu’une attaque du requin est sur le point d’intervenir, le leitmotiv en crescendo de John Williams se met en route, histoire de mettre le spectateur sous tension ! Idem quand Michael Myers rôde près de ses victimes dans Halloween dont la composition est signée par Carpenter lui-même.
La musique caractérise l’esprit du film, lui confère un surcroît de pouvoir. L’inquiétante composition de Wendy Carlos dans l’introduction de Shining (Stanley Kubrick – 1980) conditionne le spectateur dans ce qui sera un véritable cauchemar.
En plus de cela, la musique dans un film « accentue ponctuellement les moments surprenants ou les points remarquables du film (moment du meurtre) ; pour l’effet de surprise » (Eric Dufour, op.cit.). En effet, elle peut amener à surprendre le spectateur au même titre que l’image, et parfois même à le tromper. Bon nombre de films d’horreur utilisent une musique façon « jump-scare », histoire de tourmenter le petit cœur fragile du spectateur déjà tendu. Dans Scream de Wes Craven (1996), film qui a relancé la mode du Slasher Movie, les « jump-scare » sont fréquents : un personnage est seul, il se sent épié et quand il se retourne quelqu’un est derrière lui, le faisant crier de surprise ! La musique est abrupte et rares sont les spectateurs qui n’esquissent pas de sursauts devant une telle mise en scène. Tellement efficace que certains films utilisent malheureusement cet effet à l’excès : La saga des Souviens Toi L’été dernier et autres Urban Legend ne sont pas des exceptions…
Sons et musiques mêlés apportent donc une puissance supérieure à l’image, et complètent un montage réussi. Dans Psychose, ces trois éléments concrétisent une violence qui ne montre pourtant pas grand-chose. « Aucune image ne prouve la pénétration du couteau dans le corps de Marion, et pourtant la scène est d’une rare violence » (Pauline Gacoin, « Psychose », la douche froide, next.liberation.fr). Montage nerveux de plus de 70 plans, musique stridente et désormais culte de Bernard Hermann, cette célébrissime séquence surprend encore aujourd’hui de par son incroyable ingéniosité. John Carpenter avoue s’en être inspiré pour Halloween. Les meurtres perpétrés par le tueur masqué Michael Myers sont d’une redoutable violence, pourtant dans 90% des cas, tout est dû à la musique, à la mise en scène, au montage. Il en est de même pour les méfaits de Leatherface dans le Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper réalisé en 1974, qui a bénéficié injustement d’une réputation de film gore alors que les effusions de sang sont quasiment absentes.
Le film d’horreur peut à merveille « tirer son efficacité maximum de la litote, il peut inventer de nouveaux moyens d’empoigner le spectateur en s’adressant à son imagination. […] Ce que le cinéma y gagne, c’est une plus grande proximité, une plus grande intimité […] du spectateur avec les personnages, explorés dans le tréfonds de leurs peurs, de leurs angoisses, de leur inconscient » (Jacques Lourcelles, Dictionnaire du Cinéma R. Laffont, 1992)
Parmi les moyens employés, nous retrouvons aussi un des grands effets dont l’efficacité a fait ses preuves au temps de l’expressionnisme allemand à savoir la projection d’ombres. Dans M Le Maudit de Fritz Lang (1931), le tueur d’enfants apparait pour la première fois à l’écran sous la forme d’une ombre menaçante projetée sur une affiche. L’effet est saisissant. Personnage hors champ mais dont une silhouette disproportionnée nous est rendue… Idem pour Nosferatu de Murnau (1922) dans lequel l’ombre du vampire dessinée sur le mur ne fait qu’accroître sa dimension terrifiante. Taille gigantesque, déformation du corps : une représentation abstraite du mal qui lui est bien concret.
Normal dès lors que le cinéma d’horreur ait repris ce procédé. « Le concret et l’abstrait agissent de
concert » (Kent Jones, Simulacres N°1 : Filmer la peur, 1999). Ainsi, Freddy le tueur d’adolescents aux griffes d’acier (Les Griffes de La Nuit – Wes Craven, 1984) se présente à sa première victime sous la forme d’une ombre qui n’est pas sans rappeler celle dans M Le Maudit. L’enfant démoniaque revenu d’entre les morts dans Simetierre (Mary Lambert–1990) projette sa silhouette démesurée sur le placard de la chambre avant de s’emparer d’un scalpel, et le démon dans le Paranormal Activity d’Oren Peli ne nous gratifiera que d’une ombre furtive en guise d’apparition.
Dans les films d’horreur, il y a donc souvent tout un jeu avec qui se cache dans l’obscurité et qui peut à tout moment se dévoiler sans pour autant être clairement identifié. Dans Signes (2003), M.Night Shyamalan distille l’angoisse en ne dévoilant durant les 3⁄4 du film que des silhouettes de ses extraterrestres envahisseurs. Dans Insidious (James Wan – 2011), le démon attend patiemment dans l’obscurité près du lit de l’enfant qu’il compte enlever. Et c’est dans [REC] qu’une silhouette décharnée se dessine, ultime danger qui guette les protagonistes affublés d’une simple vision infrarouge en guise de survie.
Les outils énoncés permettent donc de jouer avec les nerfs du spectateur, de le manipuler. « La peur est un jeu, un grand auteur nous l’a assez répété » (Dominique Zlatoff, « La féline », Caméra/stylo : Jacques Tourneur, N°6, 1982). Le montage suggère, et en tenant compte de l’univers sonore et visuel instauré, peut habilement tromper le spectateur. Dans Psychose, bon nombre de spectateurs auront bien cru voir le couteau rentrer dans la peau de la pauvre Marion Crane, tout comme certaines personnes ont clamé avoir vu le bébé du diable à la fin du film Rosemary’s Baby (1968) de Roman Polanski alors qu’il n’en est rien. L’illusion est parfaite. « Le montage fait émerger une réalité et lui confère une terreur et une consistance » (Eric Dufour, op.cit.)
« Ce qui importe, c’est que l’assemblage des morceaux du film, la photographie, la bande sonore et tout ce qui est purement technique [puissent] faire hurler le spectateur » confie Alfred Hitchcock (François Truffaut, Le cinéma selon Alfred Hitchcock, 1966). Et Wes Craven de rajouter : « [L’horreur] c’est un lieu de création, un laboratoire d’image et de son » (Wes Craven, Cahiers du Cinéma N°467, 1993).
« Dans les films d’horreur, quand on identifie, ce sont des films qui ne sont pas à proprement parler des films d’horreur mais dans lesquels on trouve des moments d’horreur » (Eric Dufour, op.cit.)
Stimuler l’imagination est gage de qualité pour un bon film d’horreur. David Moreau, un des deux réalisateurs du film français Ils sorti en 2006 le revendique d’ailleurs : « Une imagination bien stimulée engendre beaucoup plus de frayeur que tous les monstres gluants ou toutes les scènes sanguinolentes décapitées qu’on pourra montrer. Notre but n’était pas de dégoûter ou d’horrifier, mais de mettre les nerfs à vif et de terrifier » (David Moreau, dossier de presse Ils).
Mais dans quel but le spectateur aime-t-il se mettre en telle condition ? Les amateurs de sensations fortes répondront que c’est équivalent à une bonne attraction de fête foraine, le mélange entre l’excitation et la crainte. Le désir de regarder et la répulsion face au sujet du regard. Edward Lowry parle d’un spectateur sadomasochiste : « Aucun autre type de film ne dépend si profondément d’une relation sadomasochiste entre le public et le spectacle qu’est le film d’horreur. C’est illustré par le fait que le spectateur, dans sa relation avec le film d’horreur, est souvent assez actif – Il crie, il se couvre les yeux, il rit aussi bien nerveusement que de façon dérisoire » (Edward Lowry, Genre and Enunciation : the case of horror, 1984).
D’autres pencheront plutôt pour la thèse du maître de l’horreur Stephen King dans leur rapport avec le cinéma d’horreur : « Nous inventons des horreurs pour nous aider à supporter les vraies horreurs. Armés de la formidable capacité d’invention de l’esprit humain, nous agrippons les choses qui nous divisent et nous détruisent et tentons de les transformer en outils – dans le but de les démonter. Le terme de
« catharsis » est aussi ancien que la tragédie grecque, […] et il nous est ici d’une relative utilité. Le rêve d’horreur est en lui-même un défoulement et une thérapie… et peut-être bien que le rêve d’horreur reconverti en mass media est parfois en mesure de devenir un divan à l’échelle nationale »
(Stephen King, Anatomie de L’horreur – 1, 1995)
Analyse par Sébastien Dm