II – REMAKE FAIS MOI MAL (*)
Dans le monde du remake, le cinéma de genre est donc plutôt bien (ou mal) servi. Massacre à la Tronçonneuse, Halloween, The Thing, La Malédiction, Evil Dead, Carrie ou plus récemment Poltergeist ne sont que les quelques exemples qui sont passés par le rouleau compresseur des studios. Sans compter les projets à venir comme La Mouche, Les Griffes de la Nuit (encore !) et C.U.J.O.
Les œuvres originales citées ont pour la plupart marqué les années 70-80 et sont érigées au statut de films cultes par toute une génération. Quoi de plus normal qu’Hollywood décide de s’en emparer pour répéter ce succès ! Seulement, les différences sont notables et les bonnes idées peuvent malheureusement côtoyer les mauvaises.
Qu’est-ce qui change ? Quels choix sont faits pour remettre un film au goût du jour ?
Prenons un premier exemple : Massacre à la Tronçonneuse. En 2003, Tobe Hooper cède sa place à Marcus Nispel, réalisateur de clips publicitaires et musicaux.
L’original, « quintessence de l’horreur expérimentale, œuvre profonde et viscérale, […] livra une vision de l’Amérique déconstruite par les soubresauts de son histoire et engagées dans une entreprise enthousiaste de relecture politique et esthétique. […] Leatherface [apparaît] comme le symbole d’une société en pleine décomposition qui envoyait sa jeunesse au casse-pipe dans les lisières du vietnam du Nord » (Jean-Baptiste Thoret, Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper, Une expérience américaine du Chaos, 2000). Marcus Nispel abandonne la dimension politique travaillée par Hooper et livre une image sombre de l’Amérique profonde.
Massacre à la Tronçonneuse, version 1974, a bénéficié à tort, sûrement à cause de son titre racoleur, d’une réputation de film gore outrancier. Mais si l’on prend la peine de s’y pencher, force est de constater que les effusions d’hémoglobine y sont quasiment absentes, et la violence davantage suggérée : ambiance macabre appuyée par la mention « inspiré de faits réels », torture psychologique, grain poussiéreux du 16mm, aspect documentaire… Un film qui a terrifié une génération entière et qui marque encore aujourd’hui par sa virtuosité à créer le malaise.
Marcus Nispel décide donc, pari fou et risqué, de ressusciter le mythe de Leatherface, armoire à glace cannibale qui se constitue des visages avec de la peau humaine. Tout ce qui était implicite dans le le film original devient alors explicite dans le remake. Pénétrations de crochets de boucher dans la peau des victimes, tronçonnage de jambe en plan serré… « Le film de 2003 est le film gore que celui de 1974 n’était pas » (Fabien Alloin, Iletaitunefoislecinema.com). Ce qui ne va pourtant pas l’empêcher d’être considéré comme l’un des meilleurs remakes de ces dernières années.
2007. Rob Zombie de son côté choisit de s’attaquer à un autre monument : Halloween de John Carpenter. Ce dernier y maniait les codes du cinéma d’horreur avec succès, jouant habilement avec les possibilités qu’offre le hors champ. Zombie voit les choses autrement, un style plus frontal, féroce et brutal. Deuxième choix de ce remake : vouloir expliquer et humaniser la source du mal. Ainsi Michael Myers vit une jeunesse difficile au sein d’une famille désiquilibrée, ce qui justifierait ses futurs passages à l’acte. Pour certains, ce parti pris fonctionne, pour d’autres il saccage le mythe du tueur dénué d’émotions, machine à tuer implacable sans réel mobile.
Deux films donc bien différents, qui ne sont assurément pas dans la même logique. « Rob Zombie est bien décidé à offrir au public SA vision de l’horreur, sans pour autant dénaturer celle de Carpenter […] en y apportant une autre exploration du mythe, un autre point de vue, et en racontant une toute autre histoire » (Christophe Chenallet, FilmdeCulte). Une orientation qui n’est pas du goût de tous : « Dommage que le film […] verse dans une surenchère gore qui finit par lasser » (Olivier Bonnard, Télécinéobs, 2008), « [Rob Zombie] dérape dans la démonstration en empilant les cadavres » (Stéphanie Belpêche, Le Journal du Dimanche, 2007).
Si ces films remportent un franc succès et engendrent même des suites, la démarche récurrente est de faire plus sensationnel, plus explicatif, parfois plus gore ou riche en effets spéciaux. Au détriment souvent, tel est le risque, de la qualité. « Le procédé devient si systématique qu’à chaque nouveau projet annoncé, les réactions de fans indignés pleuvent sur Internet […] Le remake a mauvaise presse. En cristallisant tous les reproches adressés aux studios américains (paresseux, sans inspiration, irrespecteux des films originaux), ils sont devenus le relais privilégié d’un mercantilisme hollywoodien qui ne se gêne pas pour piller son propre passé et le recracher sous forme de produits lisses, édulcorés et sans âme » (Pierre Ancery, Rien ne se crée, tout se remake, 2011).
Les productions deviennent si prolifiques que certaines y laissent des plumes. Les Griffes de La Nuit de Samuel Bayer (2010) n’est alors qu’un « blockbuster lourdingue manquant de « griffe », [alors que] le film de Craven jouait subtilement sur les sous-entendus et laissait libre cours à l’interprétation » (Woody Alain, Brazil). En résulte « un remake [qui] enlève à la première version ses meilleurs éléments scénaristiques » (Lisa Etcheberry, Les Inrockuptibles).
En 2005, Fog, la relecture du film de John Carpenter par Rupert Wainwright, a été considérée par beaucoup comme une véritable hérésie. « Dans la grande tradition du remake, c’est comme dans tout : il y a les bons et les vraiment mauvais… » (Damien Taymans, cinemafantastique.net). Que dire de l’inutile Amityville revu par Andrew Douglas la même année ? Et du dernier Carrie (Kimberly Peirce, 2013), « hautement symbolique de la triste évolution de l’industrie hollywoodienne » (Laurent Duroche, Mad Movies) ?
« Pour faire un bon remake, il faudrait que le réalisateur maîtrise ce que l’on pourrait nommer « poétique du plagiat ». Cette capacité à s’emparer réellement d’une matière première pour en faire […] un objet singulier, maîtrisé. La liste de films rattachés au genre de l’horreur ces dernières années donne très franchement envie de se crever les yeux avec une paire de ciseaux » (Annabelle Gasquez, le remake et la poétique du plagiat dans le cinéma d’horreur, 2014).
La liste est longue et ne cesse de s’allonger. Ne reste qu’à guetter les bonnes surprises. Certains réalisateurs se refusent à voir leurs films remakés. C’est le cas par exemple de Robert Zemeckis qui récemment confiait à propos de Retour vers le Futur : « [Un remake] ne pourra se faire à moins que Bob [Gale, l’autre scénariste, NDLR] et moi ne mourrions tous les deux ».
Dans le domaine de l’horreur, si la qualité des remakes est inégale, peut-on aussi constater une difficulté du genre à se renouveler. Car ce ne sont pas les bien laborieux Annabelle, Ouija et The Gallows qui vont nous satisfaire… Wait and see !
(*) titre emprunté au dossier spécial de Mad Movies en 2008
Par Sébastien Dm