Aviez-vous une culture manga particulièrement développée ?
J’en ai vu un grand nombre et je suis souvent impressionné par leur puissance visuelle. C’est un courant artistique à côté duquel on ne peut pas passer, tant au niveau de la narration que de la singularité. J’ai découvert le dessin animé de Hiroyuki Kitakubo lorsqu’il est sorti en dvd, et j’ai gardé en mémoire le visage de Saya, sa détermination et sa complexité. Les mangas qui ont suivi ce film ont exploité le personnage en développant son sex-appeal et en ont fait une icône émoustillante. Cet aspect de Saya est présent dans le film, mais dans une moindre mesure ! Le coeur de ce personnage est sa recherche d’identité.
Avez-vous dû respecter une charte graphique très précise, héritée du manga originel ?
Non, il n’y avait pas de cahier des charges particulier. J’ai pu suivre mon instinct et mes envies tout en respectant le modèle et l’évolution. C’est le scénario qui a donné au personnage sa profondeur, à travers les flashbacks. Le film de Kitakubo est un moyen métrage, donc il restait beaucoup d’éléments à développer. Le culte qui entoure aujourd’hui le personnage n’est pas surprenant : le contraste entre la puissance et la fragilité de cette adolescente avait toutes les chances de fonctionner auprès du public.
À l’instar du Paris inédit que l’on découvrait dans LE BAISER MORTEL DU DRAGON puis L’EMPIRE DES LOUPS, vous explorez de nouveau, à travers le Japon des années 60, un monde caché.
J’ai toujours eu envie de trouver une manière originale de dépeindre un univers que l’on croit connaître. Un film doit être une découverte permanente pour le spectateur. Ensuite, il y a la manière propre à chacun de filmer des lieux : tant mieux si, à travers mes films, je crée un style mais je n’en ai pas conscience… Sur BLOOD: THE LAST VAMPIRE , j’ai beaucoup travaillé avec Nathan Amondson, ancien chef décorateur pour Wim Wenders. Nous avons échangé les résultats de nos recherches historiques et culturelles. Voilà qui était inédit pour moi. C’est l’un des bons côtés du métier : prendre le temps de creuser un sujet, se passionner pour mille détails et comparer son ressenti avec d’autres. Tout doit être au service de la narration : cela peut être un décor, une référence musicale, une façon de manger, une ambiance, un contraste de cultures… Dans BLOOD: THE LAST VAMPIRE , la dominante est américaine, parce que le décor et l’époque en sont imprégnés, mais retrouver, notamment le temps des flashbacks, l’essence d’un Moyen-âge japonais était passionnant.
Pourquoi avoir été tourner en Argentine et en Chine ?
Il y avait des évidences. Par exemple, le métro japonais de l’époque a été revendu à la ville de Buenos-Aires et sur place, on a également eu accès à des bases militaires que l’on a américanisées. Nous y sommes restés deux mois, parce qu’il y avait des facilités d’autorisation et des coûts moindres que ceux pratiqués au Japon. Ensuite, comme la production était chinoise, il était beaucoup plus simple de se rendre là-bas : les studios extérieurs y sont gigantesques et l’organisation du travail est impressionnante.
Lorsque l’on intègre une production de cette ampleur, y a-t-il de la place pour «l’artisanal» ou est-ce une mécanique plus rigide, parfaitement rodée ?
J’ai vécu cette expérience avec curiosité, parce que rien ne vous permet d’anticiper la réalité d’un tournage. Je me suis retrouvé en prise avec une culture du cinéma complètement nouvelle, donc l’improvisation était plus que jamais de mise. On agit, on réagit au coup par coup, avec le sentiment de tourner son premier film, alors que les sommes engagées sont très importantes. Ce qui m’a le plus marqué, c’est le dévouement de l’équipe chinoise, critère lié à leur culture. Les cascadeurs étaient prêts à se jeter par la fenêtre, du haut du troisième étage, si je le leur demandais (rires). On découvre des modes de pensée et de sensibilité différents. Par exemple, le respect de l’interlocuteur obéit à d’autres règles : on peut blesser des personnes sans le vouloir, ou au contraire les voir surmonter naturellement des difficultés qui vous semblaient extrêmes. Les années de communisme ont amené les équipes techniques à travailler différemment : les Français vont être plus rebelles, peut-être moins flexibles que les Chinois.
Face à la prolifération des films ou séries sur les tueurs de vampires, de BLADE à «Buffy», est-ce que l’on est obsédé par l’idée d’apporter du sang neuf au genre ?
Pas vraiment et pour une raison simple : le manga originel portait déjà un regardinsolite sur le sujet. C’est une question qui a dû se poser à l’auteur mais qui vous traverse moins l’esprit lorsque vous êtes sur une adaptation. J’ai travaillé aussi avec les scénaristes et les producteurs sur l’histoire, principalement autour de la structure narrative, du rythme et du suspense. Pour l’instant, je n’ai pas eu de retour de la part du créateur de Blood… mais je sais à quel point ça peut être une mise en danger pour un auteur de voir une oeuvre personnelle transposée à l’écran. Je ne m’attends pas à ce qu’il soit d’emblée aussi ravi qu’un fan !
Passer de l’animation au réel a justement nécessité de trouver l’actrice idéale pour le rôle de Saya…
Quand je suis arrivé, Gianna Jun était déjà attachée au projet et c’est la plus belle chose qui soit arrivée au film. C’est une star dans son pays, la Corée du Sud, et beaucoup de ses films ont été adaptés par les Américains, notamment avec Sandra Bullock. Gianna est quelqu’un dont vous découvrez la réserve et la discrétion : dans les premiers temps, elle m’écoutait sans rien dire, puis au fur et à mesure des répétitions, elle s’est mise à échanger plus facilement. Je n’avais jamais travaillé avec des acteurs coréens. Je savais qu’ils étaient très souvent dans un silence que les Occidentaux prennent pour une grande timidité, alors qu’ils écoutent et ne ratent rien. Leur intelligence, et celle de Gianna en particulier, est là : ils sont souvent plus justes et efficaces, de par leur attention et leur concentration. Gianna vient d’un cinéma dramatique, c’est une actrice d’émotion et cette densité, elle s’en est servie en révélant encore davantage la fragilité et la tristesse de Saya. Ce qui lui manquait, c’était la maîtrise physique, notamment le maniement du sabre et le fait de se retrouver accrochée à des câbles pendant des heures. Elle a travaillé avec acharnement, mais elle est très forte, très résistante : je ne sais pas qui d’elle, de moi ou de l’équipe était le plus exténué à la fin de chaque journée !
Lors des multiples affrontements où valsent têtes et corps, le sang des vampires est noir. Était-ce une tactique pour contourner la censure ?
J’aime beaucoup cette idée du sang noir, un peu coagulé, mais c’est vrai qu’on s’éloigne ainsi du gore. Je ne voulais pas d’un film où tout le monde est en sang, souffre et hurle à chaque plan, même s’il s’appelle BLOOD… (rires). Finalement, je trouve logique que les vampires saignent différemment des humains.
Au premier tiers du film, il y a un morceau de bravoure d’environ dix minutes, où s’enchaînent non-stop combats et courses-poursuites…
C’était le travail de préparation le plus intense et le plus fou que j’ai eu à maîtriser ! On a tourné cette scène dans plusieurs pays, avec sept ou huit décors différents, dont un immense parking où l’on a reconstruit toute la ville en hauteur. Là encore, les Chinois sont impressionnants : ils se sont lancés dans des constructions gigantesques, avec des échafaudages grands comme des immeubles, où tout est mesuré, peint et décoré au centimètre près. J’étais comme un gamin. Se balader le matin avant de tourner, c’était à la fois surréaliste et très émouvant. Techniquement, il y a eu énormément d’improvisation à l’intérieur d’un cadre balisé. C’est même une obligation d’improviser pour éviter la rigidité. Pour s’amuser aussi, parce que c’est le meilleur vecteur de communication et d’unité sur un plateau. On ne bouleverse pas le décor mais on change l’axe d’une caméra. On tâtonne sur les cascades jusqu’à ce qu’elles soient crédibles, on profite d’un imprévu, d’une idée soudaine pour s’adapter, inventer, se remettre en cause.
Dans la chorégraphie des combats entre Saya et les vampires, avez-vous cherché à innover tout en vous inscrivant dans la tradition du film de sabre ?
On cherche toujours l’inédit et comme dit Lavoisier : «Rien ne se crée, tout se transforme». Même en voulant respecter, s’inspirer, reproduire des modèles, on est dépendant d’un cadre, de l’histoire et de sa propre culture. Donc on finit par livrer un travail personnel. Concrètement, les initiatives fusaient de partout : pas seulement de moi, mais aussi des producteurs, du chorégraphe, des acteurs etc… Par exemple, on a imaginé un moyen original de… décapiter un vampire (rires). On ne peut pas garder toutes les idées, on ne tourne pas tout, on ne monte pas tout non plus. C’est un processus à la fois frustrant mais indispensable à la cohérence esthétique du film. Ce qu’il y a de formidable en Chine, c’est la liberté de tout tenter, y compris l’inconcevable ! Je me revois, adolescent, dévorer des VHS : cela nous donnait tout à coup accès à plein de films, y compris inédits. J’arpentais aussi les grands boulevards de Paris pour faire les séances de kung-fu et je reproduisais les combats avec des copains. Il y a eu le choc HIGHLANDER qui était presque un film de sabre… J’ai habité aussi trois mois en Chine, lorsque j’avais 18 ans, et je zappais pour regarder des films de samouraï auxquels, évidemment, je ne comprenais rien (rires). Avoir l’occasion, des années plus tard, de donner sa propre vision du genre, est un cadeau formidable…
…Et dans votre approche du genre, il n’y a aucune place pour l’humour. BLOOD: THE LAST VAMPIRE est un film résolument sombre.
C’était fondamental et j’ai suivi cette ligne directrice jusqu’au montage. C’est un film noir comme le sang des vampires, parce qu’il évoque, à travers la quête d’identité de Saya, l’adolescence qui est toujours une période très difficile. Lorsque l’on vit sa crise, entre 17 ans et 22 ans selon le parcours de chacun, on est confronté à des tunnels sans fin, on ne sait plus où l’on va. C’est l’un des sujets du film qui me tenait à coeur.