Don McKellar, acteur, réalisateur et scénariste versé dans l’art de la fin du monde, acquiert les droits d’adaptation de ‘L’Aveuglement’ de José Saramago en 1999. S’ensuit un long travail d’adaptation, durant lequel des catastrophes sans précédent vont se succéder et influencer le film : l’épidémie de SRAS en 2003, le Tsunami en 2004, l’ouragan Katrina en 2005.
Aux vues de l’actualité des dernières années, ‘Blindness’ revêt un sens philosophique frappant et s’inscrit davantage dans une mouvance de politique-fiction que dans une science-fiction pure. L’allégorie – nous sommes tous aveugles puisque nous ne voyons que la surface des choses – se veut néanmoins libre, puisque aucun repère de temps ni de lieu n’existe dans le film. Quelques heures avant la projection officielle, Don McKellar, en proie au trac, revient avec nous sur ce projet multinational de longue haleine.
‘Last Night’ et ‘Blindness’ comportent des thèmes communs. La fin du monde vous attire ?
C’est quelque chose qui revient tout le temps. J’ai lu ‘Blindness’ quand je faisais la promotion de ‘Last Night’, et j’ai été attiré par le bouquin parce que je parlais déjà tout le temps de ce sujet dans les interviews. Je parle des dernières heures avant la fin du monde dans ‘Last Night’, de la responsabilité des gens à la fin du monde dans ‘Blindness’. A l’époque, c’était la fin du siècle, le nouveau millénaire arrivait, les gens parlaient de la fin du monde, certains avaient très peur. C’est un sujet qui m’a toujours semblé profond et psychologique s’il est bien traité.
Ca a été dur de convaincre José Saramago de vous laisser faire le film ?
Absolument ! Il avait peur que son livre soit mal exploité. Beaucoup de gens de studios américains l’ont appelé et lui ont proposé énormément d’argent pour les droits du livre, mais c’était une mauvaise stratégie. José n’est pas un homme d’argent, il voulait surtout garder le contrôle de son roman. Lorsqu’il a compris que le film serait meilleur avec nous et donc plus fidèle au livre, il nous a cédé les droits. Il aimait le côté international de la production, de cette façon il était sûr que nous n’allions pas vendre à des gros studios et perdre le contrôle du film. Je pense qu’il nous a fait confiance aussi parce que nous ne sommes pas américains. Et puis il avait vu et aimé ‘Last Night’.
Quel sens allégorique peut-on donner à l’aveuglement du film ?
C’est une maladie. Comme pour toutes les maladies, il est dangereux d’extrapoler et de lui donner un sens, d’en faire une punition ou quelque chose comme ça. Il s’agit avant tout d’une histoire sur les responsabilités que se découvrent les gens une fois dénués de tout. Leurs actions les définissent. En tant que symbole, cette maladie représente beaucoup de choses. Je pense que l’aveuglement pointe surtout les dérives de notre civilisation, qui ne s’intéresse qu’à la surface des choses. Le film va plus en profondeur en décortiquant les institutions, les mécanismes humains et sociaux.
Pensez-vous que les gens regarderont le monde différemment après avoir vu ‘Blindness’ ?
Je l’espère. C’est une des raisons qui m’ont poussé à écrire le film. Ce n’est finalement pas un film sur l’aveuglement, mais sur la vue. Sur le point de vue que vous adoptez quand vous assistez à quelque chose, et sur les responsabilités engendrées par le fait de voir. Ce sont des questions que j’ai encore envie de développer dans d’autres films. J’espère que ça permettra aux gens de réfléchir à ce qu’ils voient. Le style du film est inséparable du récit. En voulant donner une place prépondérante au regard, il fallait toujours penser à la manière de montrer les choses, aux angles de caméra, etc. En tout cas, j’espère vraiment que grâce à ‘Blindness’ les gens vont réfléchir à la responsabilité économique et sociale qu’impose le fait de voir.
Si vous deveniez aveugle, que feriez-vous ? Vous comporteriez-vous plutôt comme le docteur, en bon chef, ou en despote comme le roi du dortoir numéro 3 ?
J’espère d’abord que je ne serais pas un voleur, comme dans le film ! C’est très intéressant de voir comment différentes personnes réagissent à la cécité. L’interaction avec les autres se fait par le toucher, on se sent pourtant très isolé ; l’aveuglement nous garde dans une certaine solitude mais permet aussi une liberté que les voyants ne connaissent pas. Parfois le plus dur quand on est aveugle, c’est d’être invisible pour les autres. Quand il voyait encore, le roi du dortoir numéro 3 (Gael Garcia Bernal, ndlr) était petit, invisible. Il trouve la liberté en perdant la vue et laisse libre cours à son instinct. C’est plus facile pour lui maintenant qu’il ne voit pas le visage des autres et que les autres ne le voient pas, de se révéler. Le docteur est quant à lui un élu démocratique, il tente d’être un homme bon. Lui et sa “famille” essaient de construire une société humaine. Si j’avais été dans la même situation que les personnages, j’aurais tout fait pour sortir ! (rires)
C’est un honneur de faire l’ouverture du Festival de Cannes ?
Evidemment, mais c’est surtout très effrayant. Je suis terrifié. ‘Blindness’ n’est pas le genre de film d’ouverture habituel. C’est un film commercial et divertissant, bien sûr, mais ce n’est pas une grosse comédie ou un film à grand spectacle. Voilà ce qui est particulier et intimidant. En plus, nous sommes très heureux d’être en compétition et de ne pas faire seulement l’ouverture, ce qui accroît encore la pression ! Mais c’est fantastique…
Source : Evene.fr
Propos recueillis par Jean-Nicolas Berniche pour Evene.fr