A l’occasion de sa sortie en DVD le 23 Octobre, revenons avec les deux réalisateurs sur un des films évènements de cette année 2008.
REC est la deuxième collaboration entre Jaume Balaguero et Paco Plaza qui ont auparavant co-signé OT : THE MOVIE, un documentaire de la collection “Operacion Triunfo”, la version espagnole de “Star Academy”. Ils sont issus de la jeune génération montante des réalisateurs espagnols, et ils ont, chacun de leur côté, une grande expérience du genre fantastique, et ont connu des succès nationaux et internationaux. Tourné en HD, REC est une expérience unique, un tournage “à l’arrache”, un scénario dans la plus pure tradition des années 70. Les deux réalisateurs veulent rendre hommage au film de genre avec un grand G, tout en utilisant les techniques affichées par la téléréalité de tous les jours.
« Nous avons voulu construire le cauchemar le plus crédible possible, une expérience terrifiante qui pourrait garder le public le plus captif possible. On a donc décidé de raconter cette histoire comme un reportage télévisé en direct, de tourner en “live” avec l’horreur qui survient en temps réel, sans possibilité de stopper le récit. L’idée était de laisser l’action se développer devant les yeux du spectateur. Comme si tout ce qui se passait à l’image était vraiment en train de se dérouler, avec le minimum d’ellipses temporelles.
Nous avons pris la décision de placer tous les éléments horrifiques sur le plateau et de les faire vivre. Nous voulions laisser les événements arriver, sans les manipuler. Nous avons artificiellement créé une situation d’horreur extrême et nous l’avons laissée s’accentuer petit à petit… Alors, il ne s’agissait plus pour nous que de filmer, d’être littéralement derrière la caméra. Nous avions besoin de preuves, comme si nous étions nous mêmes une partie de cette situation horrible. Heureusement, nous avons pu survivre pour vous raconter cette histoire ! »
Quelles sont les origines du concept ?
Jaume : L’idée du film nous est venue un été alors que nous discutions des films d’horreur récents que nous avions vus, ceux que nous avions aimés et ceux qui ne nous avaient pas du tout plu. On se demandait quel pourrait être le concept idéal de manière à impliquer le spectateur au maximum dans l’histoire et lui flanquer une frousse qu’il n’avait encore jamais vécue au cinéma. On voulait faire un film qui ne suivrait pas les livres d’école de cinéma à la lettre, qui ne se limiterait pas aux codes habituels du genre. Ayant déjà co-réalisé avec Paco OT : THE MOVIE, un documentaire sur la tournée de la Star Academy espagnole pour la télévision, on a pensé que la clef résidait peut-être dans la manière dont sont construits certains programmes destinés au petit écran. Il fallait que notre film soit le plus réaliste possible, que l’histoire paraisse se dérouler en direct, un peu à l’image d’une émission de télé-réalité. Imaginez deux reporters qui suivent une équipe de pompiers dans un immeuble pour une intervention de routine, et soudainement, tout vire au cauchemar. Et vous, en tant que spectateur, vivez cette situation en temps réel avec les personnages, comme si tout était vrai.
La téléréalité a t-elle été un modèle ?
Paco : Ce que je trouve intéressant avec la télé-réalité, c’est que ces émissions ne reflètent pas tant la réalité qu’elles la fabriquent. On nous montre et on nous fait avaler n’importe quoi en prétextant tout simplement qu’il s’agit de la stricte vérité. Et nous y sommes tellement conditionnés qu’on finit par y croire. C’est d’ailleurs le cas de la télé en général, et des infos en particulier. Si vous y réfléchissez bien, on se soucie peu des choses qui ne bénéficient d’aucune médiatisation. C’est même comme si elles n’existaient pas. Notre quotidien est fait des guerres, des catastrophes naturelles et de tous les drames dont on nous parle à la télévision. Et s’il n’y a aucune image pour illustrer le propos, l’intérêt est moindre. Le plus fascinant, tout en étant aussi très inquiétant, c’est que les médias ne se contentent pas d’orienter nos centres d’intérêt, ils influencent également notre opinion, manipulent nos émotions. Ils le font bien mieux que n’importe quel film, car au cinéma, les spectateurs savent pertinemment que rien n’est vrai. Nous étions donc convaincus qu’en nous inspirant des artifices propres à la télévision, nous serions en mesure de créer un film d’horreur différent, et bien plus effrayant, de ceux qu’on a l’habitude de voir.
Jaume : Pendant des semaines, avant même d’attaquer l’écriture, nous avons visionné un maximum d’émissions de télé-réalité et de documentaires, de manière à nous immerger totalement dans ce style très particulier. Nous avons également fait de nombreuses recherches et rencontré tout un tas de personnes qui participent à ce type de programme afin d’en connaître tous les secrets.
Comment s’est passé le tournage ?
Jaume : Écrire et réaliser un film comme REC était une expérience totalement nouvelle pour nous, pratiquement à l’opposé de nos précédents films bien plus classiques, tant dans la forme que dans le fond. Avec un film comme REC, on ne peut pas utiliser le même langage cinématographique pour construire la tension et le suspense. Le montage ne se plie pas aux mêmes règles, on ne peut pas jouer avec la musique ou même les effets d’ambiance, puisque tout doit paraître le plus réel possible. Tous ces artifices qui nous permettent habituellement de tricher quelque peu, de préserver le sens de la narration, le rythme, la dynamique des situations ou encore le suspense, sont donc proscrits.
Paco : Il était pratiquement impossible de respecter le scénario à la lettre. Nous nous sommes rapidement rendu compte qu’il fallait laisser une énorme place à l’improvisation pour obtenir l’effet recherché. Nous laissions donc les acteurs réagir librement face aux situations auxquelles ils étaient confrontés et nous réadaptions l’histoire quotidiennement après avoir visionné les rushes. Nous avons donc en quelque sorte laissé le film prendre vie sous nos yeux sans forcément essayer de tout contrôler, sans intervenir aussi souvent que sur un métrage qui respecte les lois cinématographiques.
Parlez nous de l’équipe et des acteurs …
Paco : L’équipe est nécessairement plus réduite que sur n’importe quel autre film tant la réalisation est différente. La caméra est sans cesse en mouvement, filmant et explorant les moindres recoins de chaque pièce, et s’adaptant à chaque situation sans forcément suivre le story-board. On ne peut donc pas se permettre d’avoir quarante personnes sur le plateau comme c’est le cas d’habitude. Malgré tout, nous avions constamment une quinzaine de personnes autour de nous, pour la lumière ou pour le son, qui devaient se cacher pour ne pas apparaître dans le plan. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, obtenir ce sentiment de véracité qui paraît pourtant très simple est au final très compliqué et demande une chorégraphie très sophistiquée et de nombreuses répétitions des plus minutieuses.
Jaume : C’est aussi pour cette raison que nous avons limité le nombre de personnages et que nous avons choisi de faire appel exclusivement à des comédiens peu connus, qui viennent principalement de la télévision. C’était très important pour que le spectateur s’intéresse aux personnages et que son attention ne soit pas détournée par une star. Cela nous a paru indispensable pour que l’impression de véracité soit conservée.
Et la peur dans tout ça ..
Jaume : Nous avons constamment gardé en tête que ce film devait être avant tout une expérience unique et intense pour le spectateur. C’est vraiment ce qui nous intéressait, de lui proposer quelque chose d’original et de nouveau à une époque où les films d’horreur sont avant tout des remakes. Pour y parvenir, il fallait trouver un moyen pour qu’il soit en quelque sorte l’acteur principal de cette histoire, un témoin impuissant des événements horribles qui s’y déroulent. Nous avons donc tout mis en oeuvre pour que REC soit un film quasiment interactif, en prenant modèle sur les jeux vidéo. Je suis personnellement fasciné par les jeux RESIDENT EVIL et SILENT HILL, par la manière dont ils impliquent le spectateur dans l’histoire. Et c’est précisément parce qu’on est concerné et captivé par ce qui se passe à l’écran, sans jamais décrocher, qu’on est d’autant plus effrayé quand l’horreur survient. On a essayé de reproduire ce sentiment.
Paco : Ce que je trouve dommage dans les adaptations de jeux vidéo au cinéma, c’est qu’on a toujours l’impression de regarder quelqu’un d’autre jouer, et c’est ce qu’il y a de plus irritant pour tout “gamer“. Nous sommes des spectateurs passifs alors que ce genre de film demande bien au contraire un haut degré d’implication. La mise en scène ne s’adapte jamais au sujet. Nous avions envie que le spectateur ait l’impression d’être aux côtés des personnages, un peu comme dans un simulateur. Pour nous assurer qu’il serait surpris, nous avons essayé d’anticiper ce que le spectateur pourrait attendre de la scène suivante, et fait tout le contraire ! Nous avons également dissimulé le déroulement de certaines scènes aux comédiens pour que leur réaction soit la plus réaliste possible, jusqu’à changer de version quand nous n’étions pas satisfaits, et ce autant de fois qu’il le fallait pour obtenir l’effet recherché.
Source : Wild Side