Interview de Kike Maíllo, réalisateur du joli Eva, drame romantique sur fond de science-fiction spielbergienne mais aussi récit d’un « Ulysse moderne, quelque peu égoïste et de retour après avoir bourlingué loin de chez lui pendant 10 ans alors que sa Pénélope et Télémaque sont restées au bercail. »
Quelles sont les origines de votre fascination pour les robots et le fantastique ?
« Cela vient de mon enfance bercée par des films fantastiques tel qu’E.T. ou Rencontre du troisième type. Peut-être qu’on doit redonner au cinéma ce que le cinéma nous a donné par le passé. Pour ce qui concerne toute la représentation du mécanique, cela vient aussi de souvenirs d’enfance, d’une passion développée très tôt pour toutes les machines, et de mon père qui réparait des machines à écrire devant moi, ce que je me suis aussi mis à faire très tôt, réparer les mécaniques défectueuses… »
« En réalité, le premier choc cinématographique qui m’a attaché à la fantasy est la vision de l’adaptation Disney du Livre de la Jungle. Enfant, je lisais aussi des livres d’Asimov, auteur dont la patte se retrouve fortement dans Eva. »
Dans Eva, même si la question du robot est abordée, l’humain reste finalement le centre du film. Qu’est-ce qui vous intéressait dans cette direction scénaristique?
« La science-fiction et l’intelligence artificielle donnent la possibilité de développer une réflexion sur la condition humaine et c’est ce qui m’intéressait. Dans Eva et dans la SF robotique en général, les protagonistes ont très souvent pour objectif de modeler un robot qui ressemble le plus possible à un être humain. Cela amène donc forcément au préalable une réflexion sur la définition de ce qu’est l’humanité, ce qui permet alors au lecteur/spectateur de s’interroger sur la réalité. C’est donc pour ça qu’au début de l’écriture d’Eva nous avons mis dans un premier temps de côté tout l’aspect technologique et mécanique pour nous concentrer sur les personnages, les relations tissées entre eux et c’est la raison pour laquelle, finalement, nous parlons de beaucoup d’autres choses que de robotique. D’amour, par exemple… »
Quelle était votre direction artistique pour la conception de l’univers du film et des robots ?
« Je voulais mettre en scène un univers allant de plus en plus vers l’intégration sociale du robot dans la société humaine. Max, le major d’homme est, au début d’Eva, la dernière avancée technologique et on peut s’imaginer pouvoir le trouver dans un grand magasin. La prochaine étape de cette société est donc la conception d’un enfant soit un être non encore bridé par les règles et conventions sociales et donc vraiment libre. »
Je n’ai pas vraiment compris l’intérêt du flash forward ouvrant le film. N’est-ce pas un peu trompeur par rapport à la réelle teneur du film ?
« Sans cette scène, un autre genre de problème se posait. Nous aurions alors commencé avec l’histoire de cet homme qui retourne dans son village, retourne travailler dans l’université familiale, revoit cette jolie fille… Des choses agréables et positives. Et puis d’un coup, sans vraiment prévenir, la partie plus sombre serait survenue, ce qui aurait pu déranger ou « choquer » le spectateur alors pas du tout préparé à ce virage, puisqu’aucun élément ne lui avait suggéré jusque-là que le film était une tragédie. Nous avons eu énormément de discussions sur ce sujet au moment de l’écriture du scénario et j’avoue ne toujours pas savoir si nous avons réellement pris la bonne décision. »
Avez-vous été inspiré par le personnage interprété par Jude Law dans I.A. de Spielberg pour le personnage de Max, le major d’homme robotique ?
« Non, le personnage de Spielberg est très bien écrit mais il est beaucoup plus sophistiqué que Max, Jude Law joue quand même un robot gigolo… Pour Max, je rends plus hommage à C6PO, en version humaine et non en métal. D’ailleurs il y a même des lignes de dialogues très similaires et écrites dans ce sens quand Max parle de ses différentes utilités. Comme C6PO, ce robot essaye toujours de se vendre un peu plus à son utilisateur. »
« D’ailleurs j’apprécie vraiment la première trilogie Star Wars tout en ayant une préférence très nette pour le premier épisode. Même si les suites me plaisent (malgré un intérêt allant diminuant), je les trouve un peu trop « sophistiquées » et foisonnantes. J’ai quelques difficultés à me mettre dans la peau de ces humains côtoyant, comme si de rien n’était, robots et diverses créatures au quotidien. »
« What do you see when you close your eyes », cette phrase souvent répétée dans le film, à la résonnance funeste pour tous les robots du film, a-t-elle une origine ou signification particulière ? Une référence à « Ouvre les yeux » d’Amenabar ?
« Nous avons essayé d’ajouter une dimension poétique à ce monde froid de technologies et de robotique exacerbées. Cette phrase est habituellement destinée à quelqu’un qui s’apprête à faire des, beaux ou mauvais, rêves et c’est ce qu’aucun robot ne peut faire. Et non, cela n’a rien à voir avec le film Ouvre les Yeux d’Alejandro Amenabar qui est un ami proche et a d’ailleurs relu le script mais n’a eu aucune influence sur ce point. »
Concernant les problèmes éthiques liés aux I.A. du film : à ce niveau d’Intelligence Artificielle, débrancher un robot ne finit-il pas par équivaloir à un meurtre ?
« Effectivement, même s’il s’agit de robot, j’ai essayé de garder ce côté « tragique ». Malgré leur ressemblance aux humains et leur degré d’évolution technologique, ces robots sont finalement très fragiles, une seule phrase peut les désactiver… Cet aspect de l’histoire m’a particulièrement intéressé. »
J’ai particulièrement apprécié la séquence « musicale » et l’utilisation de la chanson Space Oddity de David Bowie. Est-ce une idée que vous avez eu pendant le tournage ?
« Je pensais déjà à cette scène 6 à 7 mois avant le tournage. C’était mon idée d’ailleurs, Space Oddity ayant eu une résonnance toute particulière dans mon enfance. C’était la première fois que j’entendais parler de science-fiction dans une chanson, cela même si en grandissant j’ai ensuite appris à lire entre les lignes et découvrir d’autres sens possibles pour les paroles. David Bowie y parle de SF, la musique est romantique (au sens allemand du terme) et cela date des seventies, soit les trois lignes directrices pour l’esthétique d’Eva. Cela m’était donc logique de lui accorder cette place dans le film. »
Le décor du film n’est pas futuriste et contraste avec les prouesses technologiques s’y déroulant, qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
« (Rires) Ce choix était artistique mais aussi finalement très lié à nos restrictions budgétaires. Je n’avais pas envie de me lancer dans la construction d’un futur déjà vu maintes fois dans d’autres films et qui trancherait radicalement avec notre présent. Je ne pense pas que ce changement sera aussi radical. Rien que sur cette table il y a près de cinq machines, téléphones, enregistreurs numériques, des appareils de dernière génération… Et je pense que les technologies vont continuer à s’intégrer naturellement dans notre quotidien sans le bouleverser pour autant esthétiquement. De plus, mon film parle de nostalgie, le protagoniste principal revenant dans le village de sa jeunesse, je voulais donc que le décor inspire un sentiment de confort plus que de froideur technologique, et ouvrir ainsi mon film à un public pas forcément initié à la SF. »
Les effets spéciaux du film sont assez impressionnants…
« Personne n’avait fait de SF depuis une dizaine d’année en Espagne et même si nous avons un savoir-faire en SFX, avec de très bonnes écoles et sociétés spécialisées, cela reste le plus souvent cantonné à une utilisation publicitaire. Les budgets du cinéma ainsi que les thèmes généralement abordés ne permettaient pas vraiment d’exploiter ces talents. »
« Pour Eva, nous sommes alors partis de ce que nous savions faire pour définir la teneur des effets spéciaux. Par exemple, nous pouvions modéliser le métal, les cristaux, mais pas l’eau ni les particules. Nous devions donc définir des limites techniques à notre imagination, des contraintes finalement très stimulantes pour la créativité. Nous avons aussi essayé de mélanger le plus possible les CGI à des effets plateaux et animatroniques afin de donner aux effets un aspect le plus concret et physique possible, comme ce fut le cas pour le prototype d’enfant robot qui combine les deux écoles. Pour le système de programmation utilisé par le personnage principal nous nous sommes surtout inspirés de la Phrénologie, science qui partait du postulat qu’à chaque partie du cerveau correspondait une habilité particulière. Mais je pourrais parler pendant des heures des effets du film, c’était un travail vraiment passionnant. »
Pouvez-vous nous parler un peu plus de la petite fille et de l’écriture de son personnage ? Les relations entre Eva et le programmeur sont assez particulières…
« Là réside l’un des paradoxes qui m’a le plus plu au début du projet. Alex, le programmeur, est en quête d’un modèle pour son robot enfant et il choisit finalement Eva qui n’est pas vraiment une petite fille de 10 ans. En tout cas les blagues qu’elle lance à Alex et ses actions (qui sont aux limites du flirt) ne sont pas du ressort d’une gamine de son âge. Son personnage est écrit comme une femme dans le corps d’un enfant, une lolita en quelque sorte. Nous avons d’ailleurs eu beaucoup de chance de trouver cette jeune actrice après plus de 3 000 interviews. Après quatre mois sans trouver la fille idéale nous avons même songé à abandonner et réécrire le rôle ! »
« Eva n’est pas qu’un film de SF mais est aussi très mélodramatique et ce genre ne peut se passer de bons acteurs puisqu’on ne peut pas cacher une mauvaise performance avec un montage cut ou d’énormes scènes d’action. Nous avons donc été très chanceux. Elle était d’ailleurs tellement parfaite, à jamais se plaindre, que la blague récurrente était de dire que nous avions casté un robot ! »
Quels sont vos prochains projets ?
« Je ne sais pas. Me reposer. Voir s’il y a des bons scripts de fantasy… Mais je reste ouvert à d’autres genres de films : action, mélo, comédie musicale… Nous sommes actuellement sur plusieurs premiers jets de scénario mais, sérieusement, je ne sais pas quel est mon prochain projet. »
Pas de « Eva 2 le Retour » de prévu donc ?
« (Rires) Non, non ! Je laisse ça aux américains… S’ils veulent faire un remake, un reboot, une suite, une préquelle ou une séquelle, cela me ferait très plaisir ! »
Interview par Alex B
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Notre critique d’EVA
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