Bridgend

Bridgend (2015)

Note
9/10
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Une jeune fille et son père officier de police emménagent dans le comté de Bridgend, au sud du Pays de Galles. Dans ce coin pluvieux et morose, les jeunes habitants sont frappés par une « malédiction du suicide » qui polarise toute l’attention des parents et des institutions.

Entre 2007 et 2012, 79 habitants de Bridgend – des adolescents pour la plupart – se sont donné la mort. Ces évènements ont attiré l’attention du documentariste danois Jeppe Rønde, qui a étudié pendant six ans cette jeunesse sinistrée ; en résulte une œuvre d’une pertinence rare, contemplant la poésie erratique de l’esprit humain. Le film relate l’histoire de Sara (Hannah Murray), une lycéenne ayant vécu la majeure partie de sa vie à Bristol. Lorsque son père (Steven Waddington) est chargé d’enquêter sur une vague de suicides, elle emménage avec lui à Bridgend, au sud du Pays de Galles… Il ne lui faudra que peu de temps pour s’intégrer dans un groupe d’adolescents célébrant, entre hédonisme et pessimisme, les vivants et les morts.

Bridgend 3

Quelles sont les racines de cette détresse émotionnelle… qui mène à la pendaison ? D’aucuns blâment la frénésie d’un phénomène de masse, nourri par une couverture médiatique virant à l’iconisation détournée. Si le cinéaste effleure quelques pistes analytiques, il prend soin de ne jamais s’attarder dessus pour mieux insinuer la beauté du désespoir. Première œuvre de fiction de son auteur (coécrite avec Torben Bech et Peter Asmussen), Bridgend est nimbée d’un halo fantastique, relevé par l’emploi de décors hypnotiques et par une photographie naturaliste – exploitant des sources de lumière perçant l’opacité ambiante pour générer une iconographie discrète. La musique du producteur français Mondkopf oscille quant à elle entre une utilisation de cordes éthérées et un recours à des basses agressives – voire anxiogènes –, soulignant tour à tour le charme macabre et la violence du pseudo-culte adolescent. La subtilité de ces ornements fait de Bridgend un long-métrage immersif, dont la pudeur est exquise.

Bridgend 4

Jeppe Rønde adopte deux points de vue distincts. Il est omniscient quand il s’agit d’observer l’atmosphère mortifère de la forêt dans laquelle les suicides s’enchainent, favorisant l’emploi de grands angles engendrant des cadres empreints de mysticisme. Lorsqu’il suit l’assimilation par Sara – the new girl in town – des codes de la communauté nubile de Bridgend, les mouvements de caméra sont prisonniers des déplacements des personnages, tandis que des cadres étriqués accentuent l’intégrisme (autodestructeur) du groupe.
Optant pour une position tantôt interne, tantôt externe, le réalisateur souligne l’authenticité du nihilisme qui meurtrit la ville… Sans doute est-ce dû à sa maestria documentariste et à sa volonté de diriger de véritables adolescents de Bridgend pour rendre compte de leurs rituels sans sombrer dans l’écueil du maniérisme… Les protagonistes adultes pâtissent a contrario d’un traitement superficiel, creusant l’abîme qui les sépare de cette jeunesse suicidaire. Hannah Murray figure parmi les quelques acteurs confirmés ayant participé au tournage et fait transparaître la vulnérabilité passionnelle de son personnage en se fondant néanmoins dans la masse. Son interprétation allègue l’une des obsessions de Jeppe Rønde : le sacrifice de la singularité au profit de la cohésion du groupe lorsque les névroses sont collectives… et le cinéaste de corroborer son observation à l’occasion de la Vème édition du Paris International Fantastic Film Festival, en dressant un parallèle entre l’union des jeunes de Bridgend et la solidarité sociale engendrée par les attentats du 13 novembre 2015.

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Si Bridgend finit par se perdre dans une sous-intrigue amoureuse plutôt vaine – intensifiant malgré tout l’ampleur de sa mélancolie -, il n’en demeure pas moins étonnant. Le long-métrage propose un final nébuleux, dans lequel l’hystérie générale semble dévorer toute cohérence narrative. En ressort un dernier plan sublime qui s’impose, à l’aulne du fantastique, comme une ultime démonstration de la puissance sensitive de l’œuvre.

Fabio MDCXCVII

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