“Deux yeux maléfiques” est conçu comme un film à sketches rendant hommage à l’écrivain Edgar Allan Poe (1809-1849), connu pour ses textes mêlant les genres du roman policier, du fantastique et de l’épouvante. Il a été réalisé par George Andrew Romero et Dario Argento, qui ont chacun choisi une nouvelle, respectivement “La Vérité sur le cas de Monsieur Valdemar” (1845) et “Le Chat noir” (1843), dont ils se sont inspirés comme fils conducteurs pour leur scénario.
“Le Chat noir” est une nouvelle abordant les thèmes de la perversité et de la culpabilité. Voici l’histoire : un homme tue le chat de sa femme mais il est ensuite hanté par l’animal, jusqu’à la folie. Il finit par tuer sa femme et emmurer son cadavre. Toutefois lorsque que la police vient enquêter sur la disparition de cette dernière, le crime du mari est trahi par les miaulements d’un chat derrière le mur fraîchement construit. “La Vérité sur le cas de Monsieur Valdemar” traite de l’hypnotisme (ou magnétisme) et de la curiosité scientifique. Son histoire raconte celle d’un savant qui expérimente le magnétisme sur un humain à l’article de la mort, M. Valdemar.
Ces deux histoires sont reprises dans le film mais modernisées et adaptées à notre époque. Les deux sketches composant Deux yeux maléfiques sont radicalement différents dans leur style puisque chaque réalisateur y a imposé son originalité, mais leur point commun est qu’ils sont truffés de références et allusions aux autres œuvres de Poe. Le film s’ouvre sur une brève scène d’introduction nous montrant la tombe de Poe, l’hommage est donc annoncé clairement. Vient alors la première partie du film, réalisée par George Romero. On a brièvement un plan nous montrant un cimetière, probable clin d’œil à son premier film “La Nuit des morts-vivants” de 1968 et probable avertissement sur la fin du film. On se concentre ensuite sur les personnages de notre histoire.
Contrairement à la nouvelle d’Edgar A. Poe, l’hypnose est ici utilisée par la femme de Monsieur Valdemar et son amant, afin de maintenir en vie son mari mourant le temps de lui extorquer de l’argent. L’hypnose tourne mal est fini par transformer le vieil homme en zombie, ce qui -une fois de plus- n’est pas sans rappeler le sujet de prédilection de Romero. Les expressions faciales de Madame Valdemar, interprétée par Adrienne Barbeau, sont légèrement théâtralisées mais correspondant assez bien au style d’écriture de Poe. Le sketch peut paraître un peu plat, mais il s’agit d’une lente plongée dans l’horreur, avec des effets de suspens bien maîtrisés et un final convaincant.
En revanche, le second sketch, celui de Dario Argento, nous met tout de suite dans une ambiance sanglante puisque le personnage principal (interprété par Harvey Keitel) est un photographe de scènes de crime. Si les références que Romero a faites à Poe sont subtiles, celles de Argento ne sont pas dissimulées. Par exemple, le photographe s’appelle Roderick Usher, surnommé Rod, qui est aussi le nom du personnage principal dans la nouvelle “La Chute de la maison Usher”. La première photo de Rod, une femme coupée en deux, fait référence à la nouvelle “Le puits et le pendule”. Une autre scène de crime, une femme dont on a arraché les dents, est tirée de la nouvelle “Bérénice”. Autre chose, dans les escaliers de la maison du photographe, il y a même un portrait de Charles Baudelaire, qui est le premier traducteur des nouvelles d’Edgar Poe en français, et qui a donc permis la diffusion de son œuvre. Et de nombreuses autres références sont présentes.
Le rythme de ce sketch est bien plus soutenu que le précédent avec des scènes assez violentes, qui peuvent, pour certaines, même choquer les défenseurs de la cause animale … Comme bien souvent dans les films de Argento, la musique a une grande importance dans la bande son, mais aussi dans l’histoire puisque la petite amie de Rod est musicienne.
Ces deux sketches sont un bel hommage à Edgar Allan Poe, et les amateurs de l’auteur se plairont certainement à retrouver les nombreuses références. Le film devrait également plaire aux amateurs de Romero et Argento qui ont réussi à adapter ces nouvelles à leurs styles, tout en respectant l’essence de l’œuvre de l’écrivain. Edgar A. Poe façon Giallo ? C’est un défi que Dario Argento et George A. Romero ont réalisé avec succès.
Sarah C.