Mystérieusement décédée, l’actrice Anna Fritz arrive à la morgue où travaille l’introverti Pau. Fasciné par le corps sans vie, ce dernier prévient deux de ses amis qui le rejoignent à l’institut. Sous l’effet de l’alcool, les invités cèdent à la nécrophilie. Mais Anna Fritz revient à la vie.
Présenté en compétition internationale cette année à l’Etrange Festival, The corpse of Anna Fritz est le premier long-métrage du catalan Hector Hernandez Vicens. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître !
Le ton est donné immédiatement : ce film sera direct et percutant dans son économie de moyens et transgressera sans peur un tabou ultime : la nécrophilie. Quatre comédiens, une situation extraordinaire, un huis-clos pervers et morbide, parfaitement vraisemblable malgré le phénomène inexpliqué du retour à la vie d’un cadavre. La crédibilité des événements et de leur évolution repose en grande partie sur l’épaisseur psychologique des personnages et la cohérence de leurs relations. La tension, nécessaire à la réussite d’un tel projet, naît ici de l’analyse pertinente des rapports de pouvoir et de tentative d’emprise psychologique des protagonistes les uns sur les autres, possibles dans une telle situation.
Au service de son enjeu si transgressif, une direction d’acteurs excellente, une interprétation qui sonne vraiment juste, une mise en scène sobre et efficace, une photographie relativement clinique. Hernandez Vicens ne tombe jamais dans un voyeurisme gratuit et malsain, jamais il n’accuse son spectateur ni ne le place dans une quelconque posture inconfortable.
En fait, le réalisateur ose un rapprochement entre le statut, ambigu, de l’Actrice, et celui du cadavre. Ce thème fort porte le film. L’héroïne Anna Fritz est belle et célèbre, et comme le dit l’un des personnages, elle « fait fantasmer la moitié de l’Espagne ». Elle existe, fascine et obsède donc non comme individu, mais comme pur objet de fantasmes, elle est un corps sur lequel (ou ici, littéralement, dans lequel…) chacun projette ce qu’il veut. Le viol de son cadavre est la parfaite illustration de ce postulat. On peut même pousser l’analyse : l’Acteur, homme ou femme, ne serait qu’un être exsangue et morbide qui n’a de consistance que celle de ses spectateurs.
Il est troublant de constater que les viols d’Anna Fritz ne sont pas filmés de façon insoutenable ou abjecte, au contraire. On comprend presque ces trois jeunes hommes dans leur abandon à leur irrésistible et macabre désir. Comme si le désir masculin, dans son essence, était de posséder absolument le corps de la femme. Anna Fritz, ou plutôt l’idée d’une Anna Fritz parfaitement offerte, serait donc simplement le fantasme ultime et le véritable but du film de nous donner à voir ce fantasme (contestable).
Quoi qu’on en pense, The corpse of Anna Fritz est de toutes façons bien plus qu’un simple thriller psychologique efficace et pervers, il fascine par son questionnement ambigu sur le désir et la mort. Espérons que les distributeurs français ne seront pas frileux…