Le Japon est un pays formidable, qui oserait en douter ? C’était pourtant mal parti… Il ne faut pas oublier que les japonais sont des êtres étonnants : ils mangent avec des baguettes, portent des sous-vêtements blancs en coton et disposent – pour une raison qui vous échappe encore – d’organes génitaux pixelisés (notre équipe scientifique bosse là-dessus). Certains accouchent de productions magistralement étranges : nous citerons par exemple The Qwaser of Stigmata, dans lequel le personnage principal tire ses pouvoirs d’une substance contenue dans le lait maternel ; ou encore l’inénarrable Boku no Pico… Mais il arrive aussi que cette folie créatrice nippone donne naissance à des œuvres aussi singulières qu’admirables. Evil Dead Trap est l’une d’entre elles.
Sorti en 1988, Evil Dead Trap (Shiryô no Wana) est un film de Toshiharu Ikeda. Il a été scénarisé par Takashi Ishii, à qui l’on doit (depuis) l’excellent Gonin et le non moins envoûtant Freeze Me. Le titre occidental n’est pas sans rappeler Evil Dead, de Sam Raimi, dont le second opus, Dead by Dawn était sorti un an plus tôt ; si l’on exclue cet élément, les similitudes entre les deux œuvres sont assez marginales… Evil Dead Trap retrace le parcours de Nami (Miyuki Ono), jeune présentatrice d’une émission nocturne qui diffuse des vidéos envoyées par les téléspectateurs. Nami est belle, lascive, et rêve de s’extirper de cette routine peu excitante. Son souhait est exaucé le jour où elle reçoit la vidéo de l’exécution d’une jeune femme, qui comporte l’adresse du tueur. Fascinée par la violence du meurtre et voyant dans cette affaire l’opportunité de faire décoller sa carrière, elle décide de réunir ses collègues et de mener l’enquête. C’est ainsi que les personnages, faisant preuve d’une témérité toute japonaise, entreprennent de se rendre innocemment dans l’antre de l’assassin – sans craindre une éventuelle énucléation ou un dépeçage dans les règles de l’art. Arrivés à destination, ils découvrent une base militaire désaffectée et, slasher oblige, se séparent en groupes de deux… tandis que Nami décide d’explorer seule les environs.
Toshiharu Ikeda, qui avant de tourner Evil Dead Trap officiait dans le Pinku Eiga (le cinéma rose nippon), réalise ici son premier film d’horreur. S’il semblerait que le cinéaste n’ait jamais été un amateur du genre, la mise en scène ultra-stylisée de son film, souvent évocatrice du cinéma de Dario Argento, tend à prouver le contraire. Evil Dead Trap est un slasher teinté de giallo, prenant place dans un pays qui marie si bien le gore et l’érotisme. On y retrouve de jolies jeunes femmes se faisant assassiner par un tueur mystérieux avec un esthétisme prenant et une inventivité folle. L’atmosphère du film est sublimée par des nappes de synthé hypnotiques rappelant celles des Goblin ; les scènes de meurtre sont, quant à elles, généreuses et filmées sans pudeur (exit le hors-champ putassier venant gâcher votre plaisante perversité, vil faquin). Evil Dead Trap est perclus de bruitages de corps en peine et de très gros plans sur des morceaux de chair se faisant lentement découper – éléments chers à un autre maître du cinéma d’horreur italien : Lucio Fulci. Du reste, si certains rapprochent la scène d’énucléation du début du film à celle du Chien Andalou de Luis Buñuel, d’autres préfèrent y voir un hommage (peut-être fictif) à l’exquis Zombi 2 du Poeta del Macabro. Et que dire enfin du dénouement plus fantastique, dans la veine du body-horror Cronenbergien (l’intrigue du film rappelant déjà celle de Videodrome) ; ou de ces plans fulgurants au ras du sol évoquant ceux de Sam Raimi ?
Malgré la récurrence des réminiscences que pourra provoquer le visionnage d’Evil Dead Trap à l’amateur aguerri de films un peu crades, l’œuvre dispose d’une identité visuelle propre et ne sombre jamais dans la vulgaire copie. Shiryô no Wana jouit d’une photographie gracieuse qui embellit ses décors putrides. Bien que sa mise en scène puisse évoquer celle d’un giallo, il serait injuste de ne pas souligner la présence de plusieurs trouvailles visuelles (comme cette scène d’affrontement éclairée par le flash d’un appareil photo) qui rythment cette œuvre unique. Si son intrigue est loin d’être passionnante, Evil Dead Trap se permet d’exploser les cadres habituels de la narration, tout en prenant soin d’instiller une aura de mystère princièrement glauque. La structure de l’œuvre est certes déconcertante – et des longueurs peuvent être regrettables passée la première heure… Mais elles ne font que renforcer l’empathie du spectateur pour Nami. Masaki Tamura (le chef-opérateur) met tout son sens de l’esthétique au profit du personnage en faisant évoluer la photographie du film au gré des états d’âme de ce dernier.
En dépit d’un montage intra-séquentiel dynamique, le dénouement, à l’image du film, multiplie les longueurs et plusieurs plans auraient mérité d’être coupés. Les fausses fins se succèdent, accentuant le grotesque d’une rupture de ton plutôt fortuite. La révélation de l’identité du tueur est à la fois décevante et surprenante : certaines personnes sensées pourraient se sentir mystifiées à cet instant, tant ce final est ubuesque, malhonnête et mal amené – les éléments permettant de le justifier étant distillés de manière très superficielle… Mais il demeure un exploit de démesure. Rien n’est plus triste, dans un giallo, que la découverte de l’identité du tueur : il perd subitement le halo de mystère qui nourrissait son charisme. En virant de bord de manière complètement absurde, Ikeda – ou plutôt Ishii – prend le contre-pied de cette tendance. S’il le fait avec un manque de subtilité terrible, l’aspect irrationnel de ce dénouement replonge le film dans les fulgurances trash jouissives, démesurées et absolument assumées auxquelles le cinéma japonais nous a habitué – fulgurances dans lesquelles s’égarent des acteurs qui semblent eux-mêmes dépassés par les événements qui s’abattent sur les personnages qu’ils incarnent…
En définitive, Evil Dead Trap fera (peut-être) ressortir l’adolescent avide de divertissements horrifiques qui sommeille au plus profond de vous. Mais attention ! Pas celui qui entraînait l’objet de ses désirs dans sa chambre moite afin de profiter de l’effroi que provoquait la vision d’un film d’horreur… Plutôt celui qui, ne doutant pas de ses capacités, soulignait toutes les références présentes dans ses œuvres préférées en se demandant pourquoi il n’avait aucun ami à l’exception de la poupée qu’il avait confectionnée à partir de morceaux de cadavres.
https://www.youtube.com/watch?v=uL0xRMXiJck
Par Fabio MDCXCVII