Il y a bien longtemps, la Terre traversa un nuage stellaire de poussière radioactive qui sema le chaos sur notre planète en déclenchant un effroyable appétit de chair humaine. La terreur dura jusqu’à ce que la toute-puissante compagnie ZomCon mette au point un collier qui domestique littéralement les zombies. Devenues jardiniers, livreurs de lait ou même véritables animaux de compagnie, ces créatures sont désormais partout, sous le parfait contrôle de leur collier, dans un monde réglé comme du papier à musique. Pour le jeune Timmy, tout cela est aussi stupide qu’illusoire et lorsque sa mère achète l’un de ces zombies, Fido, pour l’aider dans les tâches ménagères, il va avoir l’occasion de mesurer à quel point. Parce que Fido va le sauver, une belle amitié va naître entre le jeune garçon et la créature, mais lorsque son collier tombe en panne, les voisins ne tardent pas à en faire les frais…
S’il devait y avoir une suite alternative au mythique Day Of The Dead de George A. Romero, ce serait Fido. Andrew Currie, son réalisateur, a parfaitement su s’emparer des enjeux établis dans le troisième volet de la saga Of The Dead pour nous livrer une comédie horrifique assaisonnée de satire mordante diablement réussie qui prend des allures d’hommage vibrant à l’œuvre du Père des Morts-Vivants. Touchant, drôle, angoissant, pétillant et foutrement intelligent, Fido franchit les limites du politiquement correct en poussant à son paroxysme l’idée de domestication du zombie mangeur de chair telle qu’elle était pressentie il y a plus de vingt-cinq ans en arrière dans Day Of The Dead.
Contrairement à Land Of The Dead dont il se veut l’alter ego positif, ce film nous présente un monde paisible dans lequel les morts-vivants, une fois « apprivoisés » à défaut d’être complètement éradiqués, constituent une main-d’œuvre précieuse au service du bien-être quotidien de ses habitants. Le lieu où se déroule l’histoire, Willard, ressemble à une petite bourgade des années 50 qui bénéficierait de tout le confort et le progrès de la vie moderne ; en cela, nous pouvons la qualifier d’uchronie car il demeure absolument impossible de déterminer l’époque de la narration avec certitude. Et c’est d’ailleurs tout ce qui fait le charme du film… La première belle surprise de Fido consiste justement à nous présenter le caractère docile et multitâche de ce parangon d’horreur qu’est le zombie avec un humour décalé absolument génial : ceux que l’on était jusqu’à présent habitués à voir déambuler sans but en vagissant continuellement, en quête perpétuelle de chair fraîche à se mettre sous la dent et terriblement dangereux en groupe, se livrent désormais aux tâches les plus humaines qui soient avec beaucoup d’implication malgré leur maladresse inhérente à la rigo mortis. Il faut bien l’avouer, c’est un vrai régal que de voir ces zombies, non plus horde mais semi-individus, patauds et quasi-inoffensifs, balancer le journal à l’arrache dans les jardins fleuris de Willard ; nettoyer des voitures d’époque à grands coups de gestes mécaniques absolument ridicules ; servir le dîner en arborant un air tout ce qu’il y a de plus ahuri, tous raides dans leurs costumes trois-pièces, etc. La démythification totale du zombie est sans aucun doute l’aspect le plus réussi du film et constitue un véritable rafraîchissement dans l’historicité de cette figure fantastique célébrée par le 7ème Art depuis le début des années 30.
Et c’est sans difficulté aucune que Currie parvient à nous plonger dès la séquence d’ouverture dans l’ambiance des Fifties revisitées version post-apocalypse zombie, notamment grâce à la bande-son incroyablement efficace passant des airs incontournables de l’époque et aux costumes à la fois prudes et colorés que portent les personnages. Coincés entre l’obligation de respecter les convenances – puritanisme oblige – et leur désir de fantaisie en conséquence bridé, les protagonistes de Fido, sous leurs apparences parfaitement conformes à la norme sociale établie, cachent tous des névroses que le film va peu à peu laisser se révéler sans toutefois trop nous en dévoiler ni tomber dans le piège du pathos qui désamorcerait complètement sa dimension fondamentalement humoristique et divertissante. Que ce soit le chef de la famille Robinson, Bill (Dylan Baker ; The Cell, Spiderman 2 et 3), froussard détestable cumulant les défauts et traumatisé par la mort de son père transformé en mort-vivant ; ou le vétéran de la guerre zombiesque et directeur de ZomCon, Jonathan Bottoms (Henry Czerny ; Mission Impossible, L’Exorcisme d’Emily Rose), qui ne peut vivre sa vie qu’au-travers de son passé glorieux de massacres sanglants ; ou encore le petit Timmy Robinson, enfant chétif et solitaire, rejeté par ses camarades de classe et délaissé par son propre père ; les personnages bénéficient tous d’une profondeur scénaristique réellement convaincante qui nous amène à nous y identifier sans effort. Mention spéciale à l’actrice Carrie-Ann Moss (la trilogie Matrix ; Memento) qui nous livre ici une prestation éblouissante de femme au foyer prisonnière de son couple malade et du besoin obsessionnel de sauver les apparences dans lequel elle s’est engluée. Elle est tout bonnement lumineuse dans ce rôle ambivalent de femme capable de s’effondrer à la simple perspective d’un jugement négatif de la part de ses voisins tout autant que de vider son chargeur sur un enfant fraîchement reconverti en zombie. Quoiqu’il en soit, les personnages, de même que les performances remarquables des acteurs, constituent l’un des atouts majeurs de Fido.
Mais ce n’est pas le seul, le mélange des registres opérés par le film contribue également à lui conférer sa saveur si agréablement originale : tantôt vraiment drôle, tantôt émouvant, quelquefois même angoissant mais surtout fondamentalement réflexif, Fido réussit l’exploit de changer complètement de tonalité d’une scène à l’autre en faisant preuve d’une incroyable maîtrise stylistique. C’est ce qui permet au spectateur de ressentir, de vivre le film plus encore que de simplement le voir, car c’est ainsi que nous suivons de très près la vie des habitants d’une petite ville idyllique peuplée à 50% de zombies domestiques, avec ses rebondissements, ses éclats, ses drames et ses joies. Pour vous dire, Andrew Currie est même parvenu à insérer du romantisme et de l’amour – du sexe ? – via les relations interpersonnelles entre morts et vivants ! Certes, cela avait déjà été vu dans Zombie Honeymoon de David Gebroe mais, là où Fido est parvenu à faire dans la juste mesure, le film de Gerbroe repose entièrement sur le concept de relation amoureuse à penchant nécrophile et le rendu est de nettement moins bonne qualité, il faut bien l’avouer… Chacune des situations de l’histoire est donc particulièrement riche en émotions en tout genre et tellement bien amenée que l’on ne peut s’empêcher de se prendre au jeu. S’il n’y avait pas ces quelques scènes de repas cannibales, indispensables à tout bon film de zombies, Fido pourrait presque se targuer d’être THE comédie familiale Of The Dead.
Car, nous le savons depuis Shaun Of The Dead, le comique n’exclut pas nécessairement l’horreur, et c’est même tout à fait le contraire : l’arrivée soudaine de celle-ci au sein d’un contexte humoristique bien établi, alors que le spectateur n’est plus du tout sur ses gardes, a pour conséquence de maximiser l’impact horrifique sur ce dernier. L’horreur est d’autant plus puissante qu’elle survient brutalement, sans aucun préliminaire. C’est à peu près ce qui se passe pour Fido, si ce n’est que l’impact se voit considérablement diminué par la sobriété des scènes gore, qui d’ailleurs n’en sont pas vraiment. Tout n’est qu’une question de proportions, et l’horreur se trouve ici davantage suggérée qu’exhibée. Et c’est très bien ainsi, car à vrai dire la surenchère grand-guignolesque serait tout à fais hors de propos dans un film se voulant accessible au plus grand nombre afin de faire partager sa vision radicale et hautement corrosive de la société moderne, ici travestie par l’ambiguïté concernant l’époque de l’histoire. Si le style très « années 50 » du film pousse l’auteur à grossir les traits de chacun des vices qu’il dénonce par l’intermédiaire du second degré, ceux-ci n’en restent pas moins retranscriptibles à l’ère dans laquelle nous vivons actuellement… Par exemple, l’attitude conditionnée consistant à se référer systématiquement à la norme établie pour tous les aspects de l’existence dans l’espoir d’être accepté et reconnu par un groupe social standardisé ; le recours excessif aux services en tout genre, quitte à se créer de nouveaux besoins aussi inutiles qu’encombrants et à sombrer dans l’assistanat le plus vil ; la propagande télévisée, qui vend du rêve et propage la désinformation par la lobotomie subliminale ; le fragile équilibre d’une communauté basé sur le mensonge, qui n’attend qu’un seul tressaillement de vérité pour éclater en mille morceaux ; etc. Cette dimension analytique accompagne l’intégralité du métrage de manière très subtile, presque latente, et s’offre en seconde lecture venant prendre le contrepied de celle qui consisterait à ne voir en Fido qu’un simple divertissement.
Bien plus qu’une simple petite comédie horrifique sans prétention, le film d’Andrew Currie est en réalité une véritable bombe de cynisme grinçant qui a su poursuivre l’idée première de son modèle George A. Romero – Currie avait déjà réalisé un court-métrage intitulé Night Of The Living dans lequel un enfant assiste à la transformation en zombie de son père alcoolique – pour livrer une satire brillante sur la société contemporaine. Mais, fort heureusement, le point de vue purement social ne prend jamais le pas sur l’humour, ce qui permet à Fido de prendre place parmi les meilleures comédies de zombies des années 2000. Si vous vous êtes toujours demandés à quoi pourrait bien ressembler le monde si les choses n’avaient pas aussi mal tourné que dans Land Of The Dead, la réponse est ici !
Par Emmanuelle Ignacchiti