Après les fulgurances gore de Murder Party et la mélancolie lancinante de Blue Ruin, Jérémy Saulnier affine avec Green Room ses aptitudes de metteur en scène. Survival abrasif, le film narre l’histoire de The Ain’t Rights, un groupe de punk hardcore contraint de jouer dans un club régi par des néo-nazis. Le concert porte son lot de provocations (Nazi punks, nazi punks, nazi punks, fuck off !), mais les choses ne dégénèrent que lorsque les musiciens découvrent un cadavre backstage… Soucieux de se débarrasser du moindre témoin gênant, les tenants des lieux les enfermeront dans la loge réservée aux groupes avant leur montée sur scène : la green room.
Puisant dans sa jeunesse (brutalement) bercée par le punk, le cinéaste offre avec son troisième long-métrage un spectacle radical… et chargé de ce qui semble être l’une de ses obsessions : le réalisme. Au-delà des éclats de sauvagerie qui ponctuent le film, Jérémy Saulnier livre un script exempt de failles ostentatoires : sans sombrer dans les affres débilitantes de l’hommage au cinéma bis (à l’encontre de beaucoup trop de productions actuelles), Green Room s’avère aussi furieux que réfléchi… Les protagonistes étant séquestrés (avec certains de leurs opposants) dans une pièce perdue dans un environnement inamical, l’œuvre oscille entre la tension qu’ils subissent lorsqu’ils fomentent un plan et l’énergie qu’ils délivrent quand ils tentent de le mettre en application. Ipso facto, Green Room ne pâtit que d’une infimité de problèmes de rythme et parvient à éviter l’écueil du récit cyclique ; les évènements s’enchaînent dans un souci de cohésion notable, généré par la simple intelligence des membres du groupe et de leur adjuvante : Amber, une amie de la victime du meurtre. Du reste, sous couvert de la sempiternelle lutte entre les punks et les skins boneheads, Jérémy Saulnier explore quelques plaies ouvertes de l’Amérique en exposant de la manière la plus neutre qui soit une génération meurtrie, trouvant dans l’agressivité, le clanisme, les luttes chimériques et/ou le rejet total de l’autre un exutoire face à la violence (symbolique) que la société lui inflige.
Green Room fait preuve d’une certaine insolence quant à son emploi décomplexé (sans être complaisant) de ressorts gore, rythmés par une bande-originale délectable alliant les morceaux de The Ain’t Rights (créés pour l’occasion) à ceux de Corpus Rottus, de Patsy’s Rats et de… Creedence Clearwater Revival. De la même façon, le film propose un discours sous-jacent sur le rapport à la violence et la limite entre son utilisation en tant qu’emblème et son emploi effectif : The Ain’t Rights usent d’une imagerie crue, mettant en exergue l’authenticité et le no future… mais cette carapace se délite dès que leurs vies sont en danger ; les doutes s’installent, l’instinct de survie prime. Ces quelques faits peuvent paraître anecdotiques, mais rares sont les films qui éludent le cliché de la vaillance subite, sorte de deus ex machina ultra éculé entraînant autant de résolutions aussi jubilatoires qu’invraisemblables. Et c’est précisément ce qui fait de Green Room une œuvre louable : loin d’être cérébral, ce divertimento thématiquement orgastique parvient à trouver un équilibre entre le suspense, la brutalité qu’il sert, et la franchise de son propos.
Jérémy Saulnier exploite, à la manière d’un John Carpenter dans Assaut (son meilleur film, assurément… Que ceux qui le nient viennent se battre en slip dans la boue), les possibilités offertes par un quasi huis-clos prenant place dans un milieu assailli par un gang. Au-delà d’une gestion de l’espace admirable, le cinéaste, assisté par Sean Porter, son chef-opérateur, joue sur les lumières (avec une maestria rare) pour accentuer l’effet des pinacles de barbarie ; d’un bout à l’autre, la mise en scène reste au service du fond, sans excès d’esthétisme (donc), et avec une efficience exceptionnelle. L’ensemble est sublimé par les prestations des comédiens, d’Anton Yelchin et Alia Shawkat en punks joliment paumés à l’excellent Patrick Stewart en monstre de froideur méthodique, en passant par Imogen Poots qui incarne une jeune skin en proie au doute, sans oublier Macon Blair, figure nodale de Blue Ruin qui vient ici prouver l’ampleur de son talent. Ajoutez à cela une direction artistique qui exsude l’authenticité malgré un budget modeste et vous obtiendrez une œuvre profondément jouissive, inscrite dans le sillon de River’s Edge. D’aucuns regretteront les quelques coupes engendrées par le distributeur français de Green Room, The Jokers (il convient au demeurant de relever l’audace et la passion qui motivent le parrainage d’un tel projet), censurant les fragments du film les plus violents… Ceux-là auront raison. Ceci dit, il n’aurait certainement pas été possible de découvrir le film en salles autrement. Un mal pour un bien, donc… peut-être plus indicatif des attentes d’une large partie public français que d’une quelconque stratégie commerciale. Le débat reste ouvert.
Fabio MDCXCVII