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Inferno

Affiche du film "Inferno"

© 1980 Produzioni Intersound − Tous droits réservés.

Rose découvre dans un vieux livre l’histoire des Trois Mères : trois sorcières, résidant chacune à Rome, Fribourg et New York. Prise de panique, elle demande à son frère Mark, étudiant à Rome, de venir la rejoindre.

En 1977, Dario Argento abandonne son genre de prédilection, le giallo, pour se consacrer au genre fantastique avec Suspiria, l’une des pièces maîtresses du cinéaste et qui marque un tournant décisif dans sa carrière de réalisateur. Mais Suspiria signe également l’avènement de la trilogie « des Enfers » (ou « des Trois Mères »), qui se poursuivra avec Inferno (1980) et La Troisième Mère (2007) mais qui ne sont pas à considérer comme des suites du premier. Nous allons nous pencher ici sur Inferno, le deuxième volet de la saga surnaturelle des sorcières, sorte de film-trip halluciné à l’esthétique ultra-maniérée qui nous rappelle pourquoi on aimait tant le grain de folie Argentesque qui a définitivement marqué au fer rouge les années 70 et 80.

© 1980 Produzioni Intersound − Tous droits réservés.

Inferno est une œuvre fondamentalement étrange, à l’atmosphère enivrante et dont la structure s’apparenterait davantage à un délire cauchemardesque qu’à une logique narrative classique. L’histoire de base est simple : plusieurs personnages enquêtent sur l’existence des légendaires Trois Mères ; mais Argento a le génie de sublimer le moindre plan et de nous transporter vers des horizons si lointains que nous n’aurions jamais pu les imaginer même dans nos rêves les plus fous. Ainsi le film peut-il être présenté comme une succession d’images extrêmement esthétisées aux allures souvent fantasmatiques et mettant en scène des mises à mort pour le moins originales et d’une beauté graphique hors pair. L’œuvre toute entière est auréolée d’un épais mystère que l’on retrouve principalement par l’intermédiaire des obsessions d’Argento pour l’architecture moderne : escaliers  tortueux, long couloirs étroits et sinueux, pièces cachées, sous-sols difficilement atteignables ; les personnages semblent à chaque fois pénétrer au cœur d’un monde parallèle auquel ils n’appartiennent pas et dont ils ne pourront jamais sortir vivants.

La grande particularité d’Inferno, qui peut autant fasciner le cinéphile averti que dérouter le spectateur encore non éduqué aux codes Argentesques, c’est qu’il n’y a pas vraiment de personnage principal. En effet, nous suivons tout d’abord Rose, puis Sara, Mark et enfin Elise, sans trop savoir auquel s’attacher véritablement ni comment les considérer dans le contexte du récit : s’agit-il d’un personnage secondaire ? Apparemment, non : ça fait déjà un moment que l’histoire s’attarde sur lui. Principal alors ? Ah, ben, il vient tout juste de mourir, donc non plus… On peut se poser ces interrogations tout au long du film sans jamais obtenir de réponse, du moins jusqu’à ce que l’intrigue finisse par enfin lever le voile sur la véritable identité du héros du film. En somme, Inferno nous invite sans cesse à éprouver de l’empathie pour chacun des personnages qu’il se plait à nous faire découvrir de manière brève mais suffisamment détaillée, pour ensuite briser d’un seul coup ce lien fraîchement établi. Tous les personnages sont ainsi traités sur un même pied d’égalité, et il demeure très difficile de deviner lequel d’entre eux survivra à la fin, si survivants il y aura bien sur… Le spectateur doit donc accepter de n’avoir absolument aucun pouvoir d’anticipation sur les évènements à venir et assister passivement au déroulement de cette intrigue retorse selon le bon vouloir du film.

Quant à l’esthétique d’Inferno, elle fonctionne à peu près de la même manière que celle de Suspiria : une extrême attention a été portée aux détails les plus infimes comme pour démontrer toute l’envergure du talent d’esthète du vieil ami de George A. Romero. Saturation excessive de l’image avec prédominance des couleurs rose et bleu dans leurs infinies variations ; éclairages brouillardeux, presque oniriques ; récurrence des motifs géométriques et des couleurs criardes (par l’intermédiaire des papiers-peints surtout) ; Inferno s’avère être un véritable hommage au Cinématographe tant le réalisateur explore en profondeur chacune des possibilités que lui offre le medium  à partir duquel il a choisi de s’exprimer. Les scènes gore sont elles aussi très réussies et comme toujours chez Argento largement théâtralisées ; ainsi la sauvagerie des actes commis deviendrait presque un critère artistique, tant la violence se retrouve sublimée par le travail du montage et de la mise en scène. On précisera néanmoins qu’Argento aura préféré pour Inferno la violence grand guignolesque à la suggestivité, bien que certaines mises à morts soient volontairement hors-champ dans le but d’alterner un peu les effets spectatoriels produits.

Fait amusant s’il en est, on retrouve malgré le changement radical de style du réalisateur certains codes inhérents au giallo, tels que l’image archétypale de la main gantée de noir de l’assassin qui brandit un couteau luisant dans l’obscurité. Cet élément est à mon sens assez pauvre sémantiquement puisque l’on sait dès le début du film que c’est l’une des Trois Mères, en l’occurence Mater Tenebrarum, qui commet ces meurtres sanglants à la chaîne et sans aucune distinction. On peut donc y voir, je pense, l’expression pure et simple de clins d’œil affirmés de la part de Dario Argento à un genre qu’il affectionne particulièrement et auquel il aura entièrement consacré les cinq premières années de sa carrière, notamment avec sa célèbre trilogie « Animalière » (L’Oiseau au Plumage de Cristal, Le Chat à Neuf Queues, Quatre Mouches de Velours Gris).

© 1980 Produzioni Intersound − Tous droits réservés.

Toujours aussi doué pour choisir la bande-son de ses œuvres, le réalisateur des Frissons de l’Angoisse dote son film de bruitages aussi intéressants qu’effrayants (les miaulements de chats démoniaques, brrr…) qui lui confèrent une ambiance unique, magique et baignée d’énigmes insondables. Le thème musical d’Inferno, s’il n’arrive cependant pas au niveau de celui de Suspiria (indétrônables Goblin), s’avère une fois de plus magnifiquement composé et  parvient à soutenir avec brio les scènes-clés du film. L’on reconnait néanmoins une certaine influence de Suspiria pour la mélodie, mais les chœurs qui viennent s’y ajouter contribuent à lui insuffler une identité propre. Ainsi, grâce à cette efficacité à la fois esthétique et narrative qui a fait la gloire d’Argento, on a l’occasion d’assister dans Inferno à des scènes absolument phénoménales qui resteront gravées à jamais dans l’histoire du cinéma d’horreur. Citons parmi elles la superbe scène aquatique du début, lorsque Rose part explorer les profondeurs de l’Enfer à la recherche de ses clés, devenue culte pour les cinéphiles ; ou encore les scènes d’attaques des animaux ensorcelés, dans lesquelles le montage opère des merveilles de suggestivité par l’accumulation rapide d’inserts redoutablement significatifs.

Inferno est donc l’une des œuvres-phares de Dario Argento et, si la filiation stylistique avec Suspiria peut sauter aux yeux, force est de reconnaître que ce nouvel opus de la trilogie « des Trois Mères » détient son identité propre et parvient à filer la métaphore utilisée par son prédécesseur tout en s’en éloignant sensiblement. Assurément un grand film, bizarre certes, parfois même déroutant, mais en tout cas très représentatif des « années surnaturelles » qu’aura traversé le maestro dell’orrore italiana.

Par Emmanuelle Ignacchiti

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