Wes Craven est, malgré quelques ratés, un des maîtres incontestés de l’horreur. Sa carrière a commencé au début des années 70 avec un film très engagé, filmé à la manière d’un reportage, avec un budget proche du néant qui est resté, pour les fans du genre, un incontournable long métrage mythique censuré dans le nombreux pays à cause de son ton très dérangeant : La dernière maison sur la gauche.
Pour ceux qui l’ignorent encore, La dernière maison sur la gauche ( Last house on the left selon le titre original ) est un remake du premier film de Wes Craven datant de 1972, produit par son collègue Sean Cunningham, autre maître de l’horreur qui se ferait bientôt connaître avec la franchise Vendredi 13. Il le dit lui même : «Last House était un authentique produit de son temps. Nous étions tous décidés à briser les vieux tabous et le carcan de la censure. La guerre du Vietnam s’éternisant, et des images incroyablement violentes nous en parvenaient. En faisant Last House, nous avons cherché à illustrer notre propre vision de la violence, en retournant tous les clichés du film B hollywoodien.»
Il prit son inspiration dans La source d’Ingmar Bergman, film lui-même tiré d’une ballade médiévale suédoise, «La Fille de Töre». Le film raconte une légende suédoise du xive siècle, parlant d’une famille de paysans suédois aisés et de leur fille adolescente. «Lorsque Sean et moi avons fait Last House, nous pensions qu’il n’aurait qu’une très petite diffusion et que personne ne serait au courant de son existence. Cela nous a encouragés à y montrer des choses qu’on n’avait jamais osé représenter sur un écran.» Sean Cunningham : «L’équipe ne comptait pas plus de 15 personnes. Le budget, famélique, était inférieur à 100 000 dollars. Par souci d’économie, nous avons principalement tourné dans des maisons de Westport appartenant aux familles de nos copains techniciens. L’ambiance de tournage était celle de ces films d’étudiants où tout le monde se démène 24 heures sur 24 par pur plaisir. On se lâchait complètement, comme une bande de gosses fous de cinoche.» Le jour de la sortie, Craven appela quand même Cunningham pour connaître les chiffres. Un triomphe ! Et le film allait continuer pendant des années à faire le tour des campus et des séances de minuit, à devenir le film culte des jeunes fans d’horreur.
Wes Craven : «Le premier Last house était fait avec tellement peu de moyens que j’avais dû renoncer à en développer certains aspects. Sa nouvelle version, dotée d’un budget confortable, est beaucoup plus ample et plus soignée.» Craven et ses collaborateurs se mirent en quête d’un jeune réalisateur susceptible d’offrir au public actuel une relecture du classique culte de 1972. Celui-ci devrait avoir un sens visuel très développé, être doué pour les scènes d’horreur et d’action. En l’espace d’un an, l’équipe Craven et la société Rogue Pictures passa en revue près d’une centaine de réalisateurs. Le coproducteur Cody Zwieg dénicha le bon candidat en voyant Hardcore du metteur en scène grec Dennis Iliadis, l’histoire de quatre jeunes prostituées Athéniennes de notre temps. Distingué au Critics’ Choice Awards 2005 de Variety, ce film indépendant à petit budget avait remporté le prestigieux German Independence Award. Cunningham, Craven et son associée, Marianne Maddalena, furent aussi favorablement impressionnés que Zwieg : «Nous avons tous trouvé cela brillant», dit Maddalena. «Hardcore n’est pas un film d’horreur, mais il évoque avec réalisme des personnages totalement crédibles confrontés à des situations horrifiantes», observe Zwieg.
Notre avis
On attendait le pire après tant de remakes ratés, ou inutiles ces derniers temps. La sortie un peu accélérée en France n’a rien arrangé à notre appréhension. On s’attendait à un film lisse, très loin de l’original de Craven, considéré par certains comme son meilleur film. De plus, le remake étant initialisé par le grand méchant loup Universal, on était en droit de s’attendre à un film édulcoré, vidé de son sens et inutile. Au début des années 70, Craven avait marqué l’horreur avec un obscur film hippie à budget réduit, une production amateur à la limite du reportage complètement décalée où la violence gore, parmi les plus fortes de son époque, côtoyait l’humour, le bucolique, le viol et la vengeance sauvage.
L’impact du film original fut tel qu’il provoqua une interdiction aux moins de 18 ans dans les pays l’ayant accepté dans les salles (ce n’est pas le cas du Royaume-Uni qui l’a autorisé seulement en 2000 ! ), dans des montages différents. Aujourd’hui, selon l’aveu de Craven, il paraît difficile de définir la version intégrale.
Au final, une relecture semblait être une bonne idée, les deux producteurs originaux étant présents sur le projet : ils avaient la volonté de faire le film qu’ils n’ont pas pu faire il y a 30 ans avec des moyens financiers et techniques plus conséquents. Autant de bons signes d’un remake pouvant être réussi. Et c’est le cas. Le film s’impose comme une grosse claque nous faisant oublier (ou presque) toutes les mauvaises aventures horrifiques aux fans les plus déçus du genre ces dernières années. Il nous secoue avec une efficacité simple et surprenante, tout en restant à la fois fidèle à l’esprit de l’original tout en remettant la trame au goût du jour. On se demande même comment un tel film peut sortie aujourd’hui, à fortiori chez Universal ! Ce relookage s’avère aujourd’hui bien plus remarquable que l’essai du maître ( qui a terriblement mal vieilli avouons-le ), tout en demeurant très incorrect dans la furie et le sadisme, même si un tel déchaînement d’outrages limite la démarche commerciale.
Le réalisateur en est le principal atout : inconnu au bataillon, le metteur en scène grec a su montrer un professionnalisme à toute épreuve. Les travellings sont soignés, la gestion du cadre et des couleurs est très maîtrisée ; les paysages sont judicieusement choisis ( le tournage a eu lieu en Afrique du sud ). Sa caméra a de l’allure, un style certain ; il filme les deux héroïnes comme si il les découvrait pour la première fois, en cadrant sur les visages lors des scènes les plus atroces. Iliadis et le superviseur des effets visuels Jamison Goei (Twilight, la nouvelle version de La colline a des yeux) se sont accordés pour limiter au strict minimum les plans de coupe sur les effets gore. «Je hais les inserts», déclare le réalisateur. «J’ai envie de tout voir en continuité, sans devoir recourir à des astuces de montage. C’est plus difficile à tourner, mais bien plus efficace, bien plus choquant, bien plus organique…».
Que dire de la musique ? John Murphy, qui a écrit pour Danny Boyle, les musiques de 28 jours plus tard ( dont on retrouve ici le style ) est terriblement efficace. Le script, carré, reprend la structure de l’original (les sévices des adolescentes suivis par la vengeance des parents) en enlevant certains passages : la petite gâterie de la mère au bord du lac, la scène finale avec la tronçonneuse. Il y a aussi certains rajouts : la première scène où l’on apprend à connaître le fameux Krug et ses acolytes et la dernière scène, la plus inutile du métrage. Les personnages justement, sont idéalement choisis. Les méchants sont flippants, quoique Krug un peu moins que l’original ! Les deux héroïnes sont naïves bien comme il faut, tellement bien interprétées. Mari encaisse bien comme il faut, elle montre qu’elle est tenace et parvient même à survivre alors que l’héroïne de 1972 n’avait pas cette chance. Les parents sont , eux aussi bien interprétés, l’affrontement final est terrible, définitif et sans concessions.
N’hésitez donc pas à aller voir ce film : si vous n’avez pas vu l’original, vous serez ravi de la découverte ; si vous avez vu le premier opus, vous vous rendrez compte que ce film est tout simplement à la hauteur du remake d’ Aja de La colline a des yeux.