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La Nuit des morts-vivants

Affiche du film "La Nuit des morts-vivants"

© 1968 Image Ten − Tous droits réservés.

Night Of The Living Dead restera à jamais gravé dans les mémoires pour avoir plongé la population soixante-huitarde dans l’horreur la plus primaire et dévasté par la même les idéaux « flower power » de l’époque avec une virulence exacerbée que George A. Romero n’aura de cesse d’envoyer à la face de la société américaine dans l’ensemble de sa saga des morts-vivants. Tombé dans le domaine public pour avoir négligé ses droits d’auteur, ce chef-d’œuvre inégalable entraîna un engouement sans pareil chez les cinéastes et donna naissance sans le vouloir à bon nombre de films plus ou moins réussis s’autoproclamant suites de l’œuvre de Romero. Revenons donc sur cette pièce maîtresse du cinéma de genre qui contribua à lancer la nouvelle vague du cinéma américain des années 70 et qui, en dépit d’un budget extrêmement réduit, réussit le pari fou de produire ce qui allait par la suite être considéré de manière unanime comme l’un des plus grands films du siècle passé.

© 1968 Image Ten − Tous droits réservés.

Mis à part quelques cafouillages techniques liés au montage et le choix du noir et blanc (plus dicté par des impératifs budgétaires que par une quelconque volonté esthétique), Night Of The Living Dead reste une œuvre véritablement  intemporelle tant les sujets qu’elle met en avant sont encore d’actualité. Les zombies ne sont au final qu’une sorte de prétexte pour dénoncer les aberrations du comportement humain, concept que Romero utilisera dans tous ses films sur les morts-vivants. En effet, plus que de l’envahissement imminent d’une nouvelle espèce déviante, ni vraiment morte, ni vraiment en vie, le film nous parle davantage d’un confinement, aussi bien spatial que moral, dans lequel tente bon gré mal gré de cohabiter un petit groupe de personnes. Chacun étant enfermé dans ses propres convictions, trouver un terrain d’entente s’avère être quasiment une mission impossible, ce qui causera la perte de chacun des protagonistes du film. Alors que tout autour de lui, la mode consiste à prôner la paix et l’amour, George A. Romero, lui, s’évertue à prouver que nos différences, si elles ne peuvent être dépassées en moment de crise, auront irrémédiablement raison de nous.

Outre tenir un discours à contre-courant de son époque par des moyens plus que frontaux, le créateur du « zombie mangeur de chair » s’affaire à mettre en place tous les codes que l’on retrouvera par la suite dans sa saga des morts-vivants. La lenteur cadavérique du zombie, son besoin irrépressible de dévorer de la viande humaine, la contamination quasi-instantanée par morsure, la destruction du cerveau comme seul moyen d’en venir à bout, etc. ; toutes ces caractéristiques propres au zombie Romérien sont établies avec une cohérence stylistique pour le moins surprenante chez un jeune réalisateur qui dirige ici son tout premier film, dont il est également le scénariste (avec  John A. Russo) mais aussi le monteur, directeur de la photographie et même figurant. D’ailleurs, l’excellente direction de ses acteurs principaux a également contribué au succès de Night Of The Living Dead, même si la séparation des deux camps que forment les personnages a quelque chose de manichéen (Ben incarne le Bien, les vraies valeurs et le bon sens, tandis qu’Harry incarne le Mal, la sournoiserie et la lâcheté). Mais, fort heureusement, les autres personnages secondaires (Tom et Judy Rose, Helen et sa fille Karen) sont assez présents et suffisamment élaborés pour efficacement rééquilibrer la balance et donner à la situation une puissance de frappe ahurissante qui convainc autant par l’aspect très réaliste dont bénéficie le scénario que par la superbe interprétation des acteurs. Dans ce petit groupe hétérogène, Barbara (Judith O’Dea) fait office de figure à part, tant du point de vue de son comportement que du traitement scénaristique de son personnage. De personnage principal, elle glisse progressivement vers le statut de personnage secondaire tandis que Ben fait exactement le cheminement contraire et, du coup, les rôles s’inversent avec subtilité sans que le spectateur ne s’en rende vraiment compte. L’inertie de Barbara et l’instinct de survie de Ben contribuent à les faire s’échanger leur rôle comme par un accord implicite passé sous la pression de la loi du plus fort qui par ailleurs imprègne tout le film. Ce sont donc les interactions conflictuelles entre les personnages et l’inextricabilité de la situation principale qui ont en grande partie produit l’impact social du film, mais pas seulement…

Car les zombies constituent eux aussi un véritable choc visuel qui vient forcer la garde du spectateur moyen précisément là où il ne s’y attend pas… Presque avec un sadisme consommé, George Romero met en scène des êtres comme vous et moi, des enfants, des vieillards, des jeunes filles en fleurs et des adultes respectables, à la différence près qu’ils avancent en beuglant et se livrent à des orgies cannibales. Non seulement ce bon vieux George a eu l’audace de choisir un acteur Noir (Duane Jones) pour interpréter le personnage principal de son histoire (ce qui n’était pas une mince affaire à l’époque), mais en plus il s’est permis de donner à voir des femmes nues et des hommes en pyjama qui dévorent leur prochain, et même des petites filles qui assassinent leurs parents à la truelle ! Il est difficile de ne pas tomber en admiration face à une telle prise de position jusqu’au-boutiste qui ne recule devant rien pour faire passer son message. En tout cas, ça a le mérite d’être clair : Romero déclare la guerre au système américain en pulvérisant ses pseudo-valeurs éthiques les unes après les autres par le biais d’images coups de poing qui viennent buter contre la morale bien-pensante de l’époque.

Les scènes gore sont quant à elles d’une violence abrupte, sèche, vectrice d’un effroi pur et annonciatrice d’un genre spécifique dans lequel Romero va exceller tout au long de sa carrière. Les inoubliables scènes de « repas », durant lesquelles les zombies se repaissent gloutonnement de viscères gluantes, de foie ou de membres fraîchement arrachés des corps calcinés quelques minutes plus tôt, offrent un véritable aperçu de ce qu’allait être le cinéma de genre quelques années plus tard : un art en pleine révolte,  devenu presque marginal et désireux de transgresser tous les interdits et de représenter l’irreprésentable. Les scènes de « repas » des morts-vivants ou d’éviscérations constitueront par la suite la sanglante « signature » du maître dans ses autres films de la saga Of The Dead. Mais il est également à noter que dans certains cas, le film fait appel à la suggestion (pour des défoncements de crânes et autres joyeusetés), concept d’autant plus efficace qu’il permet au spectateur de s’en donner à cœur joie pour imaginer ce que les bruitages sous-entendent…

© 1968 Image Ten − Tous droits réservés.

Chef-d’œuvre avant-gardiste du cinéma d’horreur, pamphlet sociétal sans précédent d’une Amérique en chute libre, initiateur de la figure fantastique du zombie, Night Of The Living Dead ne compte plus les domaines qu’il a révolutionnés en cette année de 1968…  Le premier film du cinéaste de Pittsburgh reste  incontestablement le témoin indétrônable des bouleversements éthiques et esthétiques de son temps, de même qu’une œuvre d’auteur indéniablement réussie qui procurera à tout amateur de films de genre une exquise décharge d’adrénaline horrifique.

Remarque à part, il me semble important de signaler que faute de droits d’exploitation, une kyrielle de (mauvaises) versions du film viennent sans aucun scrupule envahir le marché. Les bacs à DVD sont ainsi remplis de versions hideusement colorisées et remasterisées, comportant le plus souvent des scènes supplémentaires ou des scènes coupées retournées de manière différente (avec des marionnettes, par exemple…), des séquences d’animation, ou encore une bande-sonore différente… Et j’en passe. Prenons le cas de John A. Russo (coproducteur et coscénariste de Night Of The Living Dead), très représentatif de l’envergure que peuvent prendre ces abus honteux : après avoir tourné le dos à George A. Romero à la suite de nombreux différends, John A. Russo décide de revendiquer sa paternité du premier volet de la saga des morts-vivants en sortant pour le trentième anniversaire du film un director’s cut (le Survivor’s Cut) soi-disant remasterisé et comportant des pseudo-scènes inédites (tournées sans l’accord de son ancien meilleur ami) qui ne comportent strictement aucun intérêt si ce n’est définitivement entacher l’œuvre originale du Maître des zombies. Triste affaire que celle-ci, qui n’est pourtant qu’un exemple parmi tant d’autres…

Par Emmanuelle Ignacchiti

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