En 2010, deux ans après le succès de Cloverfield, Matt Reeves adapte le film suédois Morse (Tomas Alfredson, 2008) et plus particulièrement le livre original Laisse-moi entrer (John Ajvide Lindqvist, 2004). En effet, Reeves précise que son film est davantage une nouvelle adaptation du roman qu’un remake du film de Alfredson (cf interview DVD Laisse-moi enter, Metropolitan 2011). Ici, il décide de transposer la froide ambiance suédoise au Nouveau-Mexique pendant un mois de mars 1984 glacial.
VOici l’histoire : Owen (Kodi Smit-McPhee), un adolescent fragile et marginal rencontre sa nouvelle voisine, une jeune et étrange fille nommée Abby (Chloé Grace Moretz), avec qui il se lie d’amitié. Mais bientôt, celui-ci va découvrir le secret de son amie : elle est en réalité un vampire. Le spectateur découvre assez tôt dans le film le statut particulier de Abby. Sa condition est un élément important de la mise en scène qui travaille paticulièrement la question des seuils (comme le laisse entendre le titre et les nombreuses sur-cadrages via les portes et les fenêtres), de la séparation (à l’image du mur mitoyen des chambres de Owen et Abby), ou encore de l’enfermement, principalement au sens figuré : l’enfermement dans sa condition sociale pour Owen et sa condition physique pour Abby.
Ces questions de mal-être sont surlignées tout au long du film par les discours TV et radio de Ronald Reagan, alors président des États-Unis, sur la menace soviétique et la peur communiste. La peur rouge est ici métaphoriquement mis en exergue avec celle du sang, et sur la possibilité que votre voisin de palier soit différent de vous. Cette question n’est pas un problème pour Owen qui apprend à connaître l’autre et à l’aider malgré les difficultés que ça peut engendrer. Loin de la mise en scène « found-footage » de son précédent film, Matt Reeves travaille surtout ici la question des différents points de vues.
La scène de l’hôpital est la plus explicite à ce niveau puisque nous la voyons deux fois sous deux différents points de vues : la première fois, en séquence d’ouverture du film, avec le point de vue des urgentistes et du policier (Elias Koteas, toujours au top) laissant place à l’incompréhension de la situation. Puis, lorsque nous retrouvons la scène une heure plus tard, nous sommes avec Abby à l’extérieur de la chambre, sur le seuil de la fenêtre. Il s’agit ici de la scène pivot du film, où Abby perd son père d’adoption, qui appelle une deuxième heure de film où le sujet est l’acceptation et la fin de l’innocence.
En bien des points, Laisse-moi entrer est intéressant et pourtant, on peut sortir du film à plusieurs reprises. Les idées de mise en scène sont pourtant nombreuses pour nous happer (la scène de l’accident de voiture en tête). À l’image de la question des seuils évoqué plus haut, le spectateur est parfois face à l’horreur mais souvent un peu en retrait, il doit regarder le film comme si il était caché derrière un mur. Difficile donc d’être totalement investi par les épreuves que traversent les deux héros. Mais on est en droit se poser la question : le but de Matt Reeves n’était-il pas celui-ci ? Après avoir travaillé le point de vue direct avec son précédent film Cloverfied, ici, il place le spectateur en observateur. Finalement il a réussi son coup et c’est aussi pour ça qu’il faut prendre le temps de voir Let Me In.
Par Pierrick Lafond.