Tiré du roman El juego de los niños de Juan José Plans, Les Révoltés de l’An 2000, seul et unique long-métrage de Narciso Ibanez Serrador, est un chef-d’œuvre classique du genre horrifique des années 70. Hommage avoué envers le grand Alfred Hitchcock, le film, jugé trop violent par la censure de l’époque, écopa de nombreuses polémiques à sa sortie, dont une interdiction sur les territoires finlandais et islandais. Et pour cause : mettre en scène des enfants ensorcelés par une force maléfique inconnue qui commettent des meurtres d’une barbarie inouïe était un risque qu’il fallait oser prendre. Et, au final, le film s’inscrit parmi les meilleurs films d’épouvante du siècle dernier.
En effet, comme l’indique son titre original, ¿Quién puede matar a un niño? (“qui peut tuer un enfant?”), le film s’appuie sur un paradoxe cornélien qui place l’éthique du spectateur en position délicate : qui serait capable de tuer un enfant ? Même s’ils se transforment en monstres sanguinaires dénués de scrupules, il parait difficile de porter la main sur ces visages angéliques et faussement innocents. C’est cette conscience bienveillante instaurée depuis des siècles dans l’histoire de l’humanité qui causa la perte de la plupart des adultes de l’île d’Almandora. Car, s’ils demeurent en apparence des enfants, ce ne sont plus que des corps sans âmes guidés par une volonté vengeresse qui les dépassent complètement, la matérialisation d’une haine vieille de plusieurs siècles qui réclame le sang des adultes pour toutes les atrocités qui ont été commises sur les enfants durant leurs guerres égoïstes et insensées.
C’est effectivement là le sujet que veut aborder Les révoltés de l’An 2000. Sa séquence d’ouverture donne immédiatement le ton, mettant en scène des images d’archives qui illustrent les différentes guerres et famines qui ont frappé le Vietnam, le Nigeria ou encore la Corée avec à chaque fois la preuve tangible que les premières victimes étaient des enfants, martyrs de la folie des adultes, enrôlés de force dans des conflits impitoyables auxquels ils ne comprenaient rien. Il semble impossible de ne pas frissonner d’horreur devant la cruauté de ces images authentiques ; ces corps d’enfants mutilés, décharnés, dévorés par la maladie et le manque d’hygiène nous rappellent que la nature humaine, hélas, a bien plus souvent été capable du pire que du meilleur.
Outre sa douloureuse séquence d’ouverture, Les Révoltés de l’An 2000 doit son immense succès critique en grande partie à sa mise en scène impeccablement élaborée qui parvient à produire une ambiance inquiétante et malsaine, presque claustrophobique. Le film réussit à rendre les enfants particulièrement terrifiants : étrangement silencieux, le visage crispé par leur aversion des adultes, ils opèrent en bande et commettent des crimes d’une rare violence dans une euphorie générale de rires et de cris stridents. En effet, quoi de plus angoissant que le rire d’un enfant fou ? La cruauté infantile, qui est une conception bien ancrée dans l’inconscient collectif, vient se heurter à celle de l’innocence que l’on attribue généralement aux enfants; c’est la raison pour laquelle elle demeure si propice à susciter la peur. Tom et Evelyn, les deux protagonistes principaux, sont pris au piège sur cette île maudite et n’ont aucune chance d’en réchapper vivants : à chaque coin de rue, derrière chaque porte et chaque fenêtre se cache un enfant prêt à assouvir sa soif de vengeance. Par ailleurs, la scène où Tom ouvre le feu sur des dizaines d’enfants qui lui barrent la route reste particulièrement audacieuse pour l’époque, d’autant plus que la caméra s’attarde à détailler des visages souriants et des regards lumineux d’insouciance juvénile qui sont en réalité autant de subterfuges pour masquer l’abomination qui les habite. L’hésitation de Tom illustre tout à fait le propos difficile tenu par le film qui reste d’ailleurs toujours autant d’actualité : comment réagir face à un enfant capable de commettre les pires horreurs qui révulsent même un adulte ? La réponse proposée lors de la séquence finale reste ambigüe, car le geste de Tom ne restera pas impuni. Peut-être Narciso Ibanez Serrador veut-il nous dire que certaines mesures pouvant parfois s’avérer nécessaires sont de toute manière proscrites par le contexte social ?
Quoi qu’il en soit, Les Révoltés de l’An 2000, loin d’épargner le spectateur en lui proposant une morale édulcorée, vient contrecarrer les idéologies conformistes de son siècle tout en signant une véritable œuvre d’anthologie dans le cinéma horrifique espagnol qui restera à jamais considérée comme LA référence en matière de films mettant en scène la face obscure des enfants.
Par Emmanuelle Ignacchiti