Pierre angulaire du cinéma trash ancré dans les années 80, « Maniac » est une œuvre matricielle du genre, et reste encore aujourd’hui un film qui n‘a rien perdu de sa fascinante puissance. Le film est avant tout incroyable pari de son co-auteur et acteur principal : Joe Spinell. Cet excellent acteur au physique si particulier qui l’a trop souvent cantonné à des rôles de méchants est découvert dans « Le Parrain » et sa suite, puis accède à la gloire avec son rôle de Tony Gazzo dans le premier « Rocky » de 1976 avec Sylvester Stallone. Mais c’est bien avec ce « Maniac » qu’il va démontrer tout son talent d’interprète en se donnant le rôle le plus marquant de sa carrière, celui de Frank Zito, un serial killer dont la violence n’a d’égale que la folie.
Loin du simple slasher auquel on tente trop souvent de le réduire, le film est une exploration inégalée de la psyché d’un meurtrier, doublé d’un amer constat sur la solitude dans le New-York pauvre et sale de l’époque. Même s’il en confie la réalisation à William Lustig (« Maniac cop », « Vigilante »…), Joe Spinell est bien au centre du métrage. Son physique est ici étalé à chaque plan, sous ses aspects les moins flatteurs afin de coller à la peau de celui qu’il incarne. Son corps gras, mis à nu et couvert de cicatrices, voilà comment Spinell présente son personnage, avec une audace et une violence crachées à la face du spectateur. Il EST Frank Zito, serial killer. On le sent dès les premières secondes. Et le film est un incroyable véhicule qui nous oblige à vivre à ses côtés.
Frank Zito n’est pas devenu un tueur par hasard, et en écrivant son scenario, Spinell a bien conscience que le spectateur doit ressentir une (très relative) empathie avec lui s’il ne veut pas s’aliéner immédiatement son public. Ainsi dès les premières scènes du film on est partagé entre la répulsion face aux actes d’ultra violence qu’il commet, mais plus tard on est ramené à la réalité qui est la sienne, sa vie misérable, son isolement social, ses traumas d’enfance l’ayant détruit dès son plus jeune âge… Ces traumas et les meurtres qui en découlent sont autant d’éléments qui permettent à Spinell et Lustig de s’appuyer sur deux éléments érigés en véritables symboles de la personnalité troublée de Frank Zito : les mannequins de femme, et les scalps. A travers ces deux symboles, ils arrivent à retranscrire à l’écran les sentiments déviants de Frank Zito envers sa mère, sa sexualité et la mort. Tout au long du film, des monologues provenant de la voix intérieure du tueur expliquent sa folie, sa culpabilité, son attirance et en même temps sa haine des femmes. L’objet mannequin représente-t-il les seules vraies personnes proches de lui ? Sont-ils l’unique moyen de garder une femme (sa mère ?) puisqu’il a sinon recours à des prostituées ? « Maniac » est un régal pour qui veut se livrer au jeu de l’interprétation des symboles dans un cadre pyscho-analytique, et à ce titre on ne peut que saluer le travail d’écriture extrêmement détaillée fait par Spinell lui ayant permis d’interpréter de manière exceptionnelle la folie.
Au-delà de cet aspect psychologique qui le démarque du tout venant des slashers de cette même période, « Maniac » est un film aux thématiques multiples. Il est donc aussi une formidable plongée dans le New-York crasseux de la fin des années 70, peuplé de paumés, ravagé par la drogue et la pauvreté. On pense à d’autres œuvres qui ont pu également s’acharner à montrer l’envers du décor de la grosse pomme tout en faisant de cette ville un des personnages principaux à part entière, notamment « Taxi Driver » de Scorsese, « Cruising » de Friedkin, et plus proche dans son approche underground et dans sa singularité, les films de Frank Henenlotter (« Basket Case », « Brain Damage »…). « Maniac » est également une œuvre sur la notion de traque. Et William Lustig parvient à créer une tension folle lors de la scène mémorable de la poursuite qui mène aux toilettes du métro. Cette tension et la description du modus operandi du tueur font écho au genre du giallo puisque les meurtres deviennent de véritables rituels en soi. Enfin, il convient d’évoquer le rapport à la photographie, présentée ici par le prisme de Frank Zito comme le seul moyen de ne pas mourir.
Pour autant, il ne faut pas se tromper non plus sur la marchandise, « Maniac » est un film de serial-killer, et niveau meurtres et violence, on ne peut pas dire que William Lustig et le génial responsable des effets spéciaux Tom Savini aient fait dans la dentelle. La scène culte du meurtre du couple en voiture à coups de shotgun reste encore aujourd’hui marquante. On peut en dire de même pour l’incroyable scène finale à la brutalité inouïe. Et ce ne sont pas les seules à bénéficier d’une mise en scène soignée. Malgré son budget très limité qui lui confère une image crade parfaitement adapté à son sujet, « Maniac » fourmille d’idées. L’utilisation par le réalisateur des gros plans et de la caméra subjective adaptant le point de vue des victimes n’en sont que quelques exemples. Le fait d’avoir confié la bande originale à Jay Chattaway, un musicien qui vient du jazz mais s’inspire de Morricone, est un autre coup de génie puisqu’il signe là sa première bande originale. Largement orchestrée avec des synthétiseurs, elle confère au film une remarquable couleur musicale presque dissonante, renforçant son atmosphère anxiogène.
Vous l’aurez compris, « Maniac » c’est du culte et l’éditeur Le Chat Qui Fume a eu l’excellente idée de proposer une superbe édition ultra-complète (remasterisée en 4K et bourrée de bonus passionnants) de ce chef d’œuvre absolu du malsain, décrié depuis sa sortie il y a presque quarante ans. Les accusations faciles de misogynie sous prétexte que les victimes sont des femmes (c’est le propos même du film…), et le fait de taxer « Maniac » de film d’exploitation ont nui à sa réputation, mais ne sont que le reflet de l’étroitesse d’esprit de certains critiques qui n’ont pas su déceler l’incroyable description de la déviance à laquelle on assiste ici. Accuse-t-on Hitchcock de misogynie lorsqu’il fait « Psychose » qui aborde précisément les mêmes thèmes ?
Alors certes « Maniac » va (très) loin dans l’horreur graphique mais il n’est que le sombre reflet de l’époque dans laquelle il a été créé. Rare sont les expériences cinématographiques qui vont feront autant pénétrer l’esprit malade d’un tueur. Vous êtes prévenus.
Par Mad Sam