Une deuxième vision du film Matyrs de Pascal Laugier rend impatient autant qu’elle inquiète… C’est en tout cas ce que ressent le cinéphile tapie au fond de ma petite personne, au moment fatidique d’insérer le DVD dans le lecteur… Film redouté, ce deuxième long-métrage du réalisateur de Saint-Ange a tellement fait couler d’encre (menace d’interdiction aux moins de 18 ans…) qu’on ne peut s’engager dans une (re-)découverte de la chose, la fleur au fusil.
A l’issue d’une première vision pourtant très attendue, le verdict personnel peinait déjà à se dessiner… Le film, abominable dans sa violence graphique, l’est tout autant dans son propos… Lucie, dix ans, est retrouvée errant sur une route. Elle a échappé à des tortionnaires qui l’ont enlevé puis mutilé, torturé dans un entrepôt désaffecté… Elle entre dans un centre pour enfants où, malgré son mutisme, elle se prend d’amitié avec une autre jeune fille Anna. Quinze ans plus tard, Lucie et Anna partent à la recherche des bourreaux. Une famille va en faire les frais, à tort ou à raison…
Radical et foncièrement dérangeant
Les thèmes soulevés par le film sont forts mais tous traités avec le plus grand sérieux : séquestration, torture, souffrance, vengeance, folie, paranoïa… Tout le prix de Martyrs vient des choix de mise en scène pour le moins radicaux de Pascal Laugier, qui en font un film foncièrement dérengeant.
A l’heure où les remakes de classiques du cinéma d’horreur fleurissent sur les écrans, où le second degré l’emporte bien souvent sur les situations bien plus inconfortables mises en avant dans les films matriciels des années 70 (La dernière maison sur la gauche, Massacre à la tronçonneuse, Maniac…), le cinéaste français attaque son sujet à bras le corps, sans compromis. Le film est rude, les péripéties seront sanglantes et traumatisantes : qu’à cela ne tienne, Laugier distille une ambiance froide, glacée, allant jusqu’au bout de ses partis-pris, jusqu’à l’horreur la plus totale, jusqu’à la nausée… Le film est direct, frontal, glauque, abominable… les superlatifs manquent, mais sont la conséquence du projet, de la note d’intention du réalisateur. Ce jusqu’au boutisme est également la limite du projet. Le film pourra choquer, révulser, s’attirer les pires critiques (“de film fachiste” notamment)… Le premier degré voulu par le cinéaste fonctionne à plein régime. La croisade vengeresse de Lucie, dont on ne sait dans la première partie si elle est fondée ou s’il ne s’agit que d’une psychose, est retranscrite à l’écran avec force par la comédienne Mylène Jampanoï, visiblement habitée à l’obsession par son rôle. A ses côtés, Anna, tout aussi remarquablement campée par Morjane Alaoui, dans un registre plus retenu, s’impose comme l’identification du spectateur, elle représente le doute, ne cesse durant la première moitié de s’interroger sur les actes de sa compagne : celle-ci ne fait-elle pas fausse route ? L’horreur du massacre de la famille n’en serait que plus terrible si sa folie l’avait aveuglé…
Un film sur l’horreur
L’horreur présentée par Laugier est brutale, abjecte, pourtant à aucun moment, on ne peut dire que le réalisateur prend partie, qu’il se délecte de cette violence. Tout juste pourra-t-on lui reprocher quelques plans graphiques qui ne s’imposaient pas… En cela, Martyrs ne peut être comparé à un film comme Hostel, qui s’inscrit de manière plus évidente dans une volonté de surenchère dans le “malsain de divertissement”. Ici, à aucun moment le sujet, les actions des protagonistes ne prêtent à sourire. Laugier filme la violence frontalement et ce que l’individu a de plus inhumain, succombant à ses plus bas instincts, et fait de Martyrs non pas un film d’horreur ordinaire, mais un film sur l’horreur. L’horreur la plus réaliste, la plus sournoise, la plus terrifiante qui soit, celle avançant sous le masque le plus ordinaire du père ou de la mère de famille lambda. Le final, grand-guignol et ridicule pour certains, est pourtant la clé de tout ce qui a précédé. On ne parle pas là d’un twist final tout moisi, non, il s’agit plutôt d’une “récompense” pour le spectateur courageux ayant survécu à la vision de toutes ces atrocités, la preuve que le metteur en scène savait où il allait, qu’il avait un véritable projet scénaristique tenant la route : la souffrance absolue comme élévation de l’âme. Un film qui fait froid dans le dos, et qui a déjà réuni autant d’admirateurs que de détracteurs.
Par Nicolas