Créature hominoïde évoluant parmi vos semblables, vous êtes animé par l’amour et par la haine. Si vous affectionnez tout particulièrement le café, les forêts et les framboises, vous n’avez aucun penchant pour la pédophilie, l’acrotomophilie ou la nanophilie. Et pourtant, vous adorez Midori. Adaptation filmique de La jeune fille aux camélias, Midori est une œuvre unique dont la beauté morbide émane de la passion de son réalisateur, Hiroshi Harada. Initié en 1987, le projet (également écrit et produit par Harada) demandera cinq années d’efforts intenses pour voir le jour. Le film retrace la vie du personnage éponyme : une jeune fille vivant au Japon à la fin des années 20. Suite à la disparition tragique de ses parents, elle se retrouvera obligée de vendre des fleurs pour subsister. L’enfant fera la rencontre d’un directeur de cirque, M. Arashi, qui en dépit de son apparente mansuétude la séquestrera et la livrera à ses freaks. Subissant viols et humiliations, Midori sera finalement placée sous l’égide de Wonder Masamitsu, un nain doté de pouvoirs psychokinétiques qui deviendra l’égérie de la troupe…
Œuvre-culte, excavatrice acharnée de tabous abjects, Midori figure au panthéon des films dont la genèse est fascinante : témoignant d’une ténacité admirable, Hiroshi Harada puisa dans ses économies et effectua l’essentiel du travail seul, avant de confier l’animation à d’autres professionnels. Il reçut l’aide de plusieurs figures emblématiques de la scène underground Tokyoïte lors de l’ultime année de développement ; l’artiste Suehiro Maruo, auteur de l’œuvre originale, apporta quant à lui un soutien relatif au projet en confiant à Harada des planches matricielles de La jeune fille aux camélias. Sommé de « faire le film comme il l’entendait », le jeune metteur en scène livra un résultat éminemment personnel et organisa les premières projections de Midori dans des lieux tenus secrets, théâtres de prestations scéniques aussi surréalistes que la troupe de freaks présente dans l’oeuvre. Ces rares projections furent le symbole de l’intimisme du film, dont la diffusion resta limitée jusqu’à sa distribution (tardive) en vidéo…
Succession saccadée d’images traumatiques, Midori fait preuve d’une violence rare et oscille entre des moments d’apaisement et des fulgurances horrifiques grotesques – souvent teintées de pulsions paraphiliques. Le film ouvre une fenêtre sur la cruauté du Japon des premières années de l’ère Shōwa, en mêlant genres et imageries avec maestria. L’oeuvre jouit d’un montage aussi précis que déroutant, témoin d’une narration tortueuse favorisant le télescopage passionnel : si les scènes légères sont fugaces, elles ne font qu’accentuer l’impact d’instants de sadisme extrême. Seule la bande sonore semble articuler l’ensemble, l’animation découlant principalement d’une multitude de zooms et de panoramiques sur les dessins colorés par la main de Harada. Cette limitation technique opacifie la frontière entre le fantasme et la réalité qui traverse Midori : le lyrisme et la barbarie s’entremêlent pour offrir au spectateur une expérience unique ; si le film emprunte au conte son structuralisme linéaire, le sensualisme reste à l’honneur.
Malgré la quintessence de son insanité, Midori avance une réflexion sur la cruauté de la désocialisation, thématique chère à Hiroshi Harada. Éternel marginal lassé par la bienséance des productions de l’époque, le réalisateur parvient – en dépit de l’aversion provoquée par leurs mœurs – à faire ressentir une certaine empathie pour les monstres dépeints dans le film, humiliés par une exhibition forcée à un public aussi curieux que pervers. Leur acharnement sur Midori est expressément présenté comme une conséquence de l’inhumanité qui leur est imposée – inhumanité soulignée par la candeur de la jeune fille. L’idéalisme du personnage est transcendé par la musique sublime de J.A. Saezer, qui offre au film la mélancolie qui se dégageait péniblement de la violence des planches de l’œuvre originale… En définitive, Midori est un dégueulis cathartique de puissance pulsionnelle, splendidement impur. À réserver aux cinéphiles déviants, prompts à déceler une immense beauté dans l’infamie. Si vous êtes de ceux-là, qu’attendez-vous ?
Par Fabio MDCXCVII