Dans une autre vie, De Palma fut un réalisateur prestigieux. Touche-à-tout émérite capable de s’accommoder de tous les genres, il démontra un talent tout particulier pour les thrillers atmosphériques que la plupart des critiques de l’époque n’hésitèrent pas à comparer aux travaux du grand Hitchcock. Des conclusions certes élogieuses malgré d’évidents raccourcis, le cinéma de De Palma n’ayant bien souvent rien de commun avec le style très objectif du mythique réalisateur de Psychose.
Obsédé par le pouvoir pervers du psychisme et son impact sur la psychologie de personnages plongés malgré eux dans des enquêtes mystérieuses trouvant souvent leur résolution dans les tréfonds de leur esprit, De Palma accoucha de chefs-d’œuvre manipulateurs où la force spirituelle s’opposait à la faiblesse de la chair, par une létalité concrétisée à coups d’armes blanches et d’érotisme sulfureux. Si les géniaux Sœurs de Sang, Obsession, The Fury ou Body Double illustrent très bien cette orientation artistique, c’est bien Pulsions qui synthétise toute la quintessence de ces thématiques. Explicitement sexuel dans la représentation de l’aliénation mentale de son personnage central (dont on taira l’identité pour les quelques lecteurs qui ne l’auraient pas encore vu), n’hésitant jamais à montrer la fission des corps par une violence fétichiste et chorégraphiée directement empruntée au giallo, le cinéma de De Palma fonctionne sur la proximité physique de corps et de sujets (souvent magnifiée par une caméra indiscrète osant souvent le voyeurisme) et leur mise en abîme, ceux-ci se trouvant finalement mis en scène au sein de leur propre univers diégétique : le massacre de la nuit du bal dans Carrie, le mythique plan-séquence du camouflage du meurtre dans Sœurs de Sang, la présence de nombreuses caméras dans Phantom of the Paradise, le retournement de situation final de Pulsions, tous ces morceaux de bravoure étayent à leur manière la personnalité toute particulière de films avant tout concernés par la perversion d’une réalité subjective (celle des personnages) devenue artificielle (par sa transformation “médiatique”).
Après 12 ans de traversée du désert faite de déceptions ou de ratages complets, il n’est pas étonnant de voir De Palma retourner aux salles obscures avec une adaptation du Crime d’Amour d’Alain Corneau, tant ce thriller vénéneux usant des thèmes de la machination et du lesbianisme semblait, sur le papier, le rattacher aux films qui le rendirent célèbre. Un retour aux sources un peu tardif, dont les premières images auguraient d’une amélioration évidente comparé au nauséabond Redacted mais également, il faut bien l’avouer, d’une distanciation inquiétante. Las. Passion est une déception totale n’exploitant jamais le potentiel de son sujet pervers, préférant jouer la sécurité ronflante d’une intrigue cousue de fils blancs en lieu et place du numéro d’équilibriste auquel on s’attendait. Car si les fluctuations hésitantes du scénario nous réservent tout de même quelques trop rares instants de grâce (dont une courte séquence inspirée du superbe Ténèbres de Dario Argento), le spectateur devra se fader une succession interminable de scènes semblant tout droit issues d’un soap-opéra apoplectique, à peine relevées par l’interprétation distante et fade du couple Rachel McAdams/Noomi Rapace, censé véhiculer érotisme et transgression sans jamais parvenir à ses fins.
En général convaincantes quand elles se sentent plus concernées, pourrait-on reporter la faute sur un De Palma aujourd’hui dépassé par les ambitions d’un script qu’il n’est plus vraiment capable de mettre en images ? A bien y regarder et malgré tout le respect que l’on doit au monsieur, on serait tenté de répondre par l’affirmative tant le rythme mollasson et les qualités plastiques indignes d’un long-métrage de cinéma semblent aller dans le sens de la parodie involontaire. Photographie bleutée qui n’aurait pas dépareillé dans un épisode de Hollywood Night, score caricatural exécuté majoritairement sur Bontempi (franchement, comment Pino Donaggio a-t-il pu pondre un truc pareil ?), montage élusif concluant la plupart des séquences sur un fondu enchaîné ou au noir, tonalité vacillant entre la tension froide, le grand-guignol débridé et les pétages de plomb de personnages agissant en dépit du bon sens, rien ne vient sauver Passion du désastre. Pas même un soubresaut de fierté de la part de son metteur en scène, qui ose ici réemployer une séquence en split-screen (un procédé qui le rendit mondialement célèbre) et dont l’indigence de la justification n’a d’égal que la stupidité de l’action filmée. Complètement raté, Passion s’impose comme le dernier opus en date à témoigner de la santé mentale vacillante de réalisateurs réputés mais aujourd’hui blasés et devenus depuis longtemps les fossoyeurs de genres qu’ils desservaient autrefois avec ferveur et… passion.
Critique par Nicolas Dehais