David Cronenberg, grand manitou du body horror, s’est imposé comme l’un des plus grands maitres de l’horreur. Avec ce 4ème film, il confirme son talent à exploiter le corps humain, un corps humain transformé, déchiqueté et repugnant qui lui servira de terrain de jeu tout au long de sa carrière. Quasi-surréaliste, Rabid (Rage) est bien loin des torture porns (Hostel, Saw, Martyrs, Human Centipede etc.) et autres films adeptes d’effusions d’hémoglobine. Et pourtant, il en est tout aussi dérangeant. Cronenberg est le maitre en la matière, tout en conservant le mystère, il est capable de vous traumatiser avec des images viscérales ineffaçables. Paradoxalement, le film fait preuve d’une grande pudeur, très peu de scènes explicitent les abominations corporelles, mais elles implémentent suffisamment de détails dans votre tête pour que cela vous dérange à chaque instant du film : un véritable supplice, un coup de maître !
Rabid est particulièrement représentatif de son époque, il a su se montrer intemporel en esquivant toutes les facilités commerciales du genre. Alors que le slasher est en pleine expansion, et que l’horreur commence à prendre la liberté d’employer des images de plus en plus choquantes ; Cronenberg fait le choix d’utiliser l’hors champ pour effrayer le spectateur (à l’instar Des Dents de la Mer et d’Alien, des mythes dans le genre). Rien d’original pour l’époque, et souvent utilisé pour palier à un budget insuffisant, Cronenberg maîtrise à la perfection cet hors-champ qui parait aujourd’hui impossible d’être employé dans un body horror. Rabid nous prouve le contraire ! Le génie du film repose sur cette opposition entre l’imagination de l’hors-champ et l’explicite écoeurant du champ. Pour renforcer cet esprit contrasté, il fait appel à une actrice pornographique, certes pas éblouissante de talent mais dont ses atouts plastiques s’opposent totalement à ses nouvelles habitudes alimentaires et corporelles. Un choix osé, mais qui fait ses preuves. Bien qu’une artiste plus talentueuse aurait amélioré la qualité globale du film, son manque de talent permet d’effacer partiellement cerains traits du personnage pour laisser plus de place à ses aspects monstrueux que la caméra tend à occulter. En clair, Cronenberg dose Rabid avec parcimonie : il montre le minimum nécessaire à irradié tout le film d’horreur, et c’est là tout son charme.
Mais le film ne repose pas que sur ce format unique. Le fond est lui aussi très bien construit. Le plus gros du scénario se révèle incroyablement vite et pourtant il ne faibli à aucun moment. D’apparence simples et efficaces, les deux branches de ce récit s’entremêlent constamment et font ressortir de nombreux aspects du comportement humain face au danger d’une crise sanitaire. Dérangeant et bien trop réel en ce moment, ce semblant de pandémie effraie autant que les déboires anthropophages de cette jeune femme accidentée. Une histoire forte, entre monstres et maladies : le mélange parfait pour titiller la peur du collectif inconscient Freudien.
Rabid donne l’impression d’être un cauchemar. Les sensations sont là, des images chocs restent en tête et pourtant on ne peut être sûrs d’avoir vu les horreurs que le film tend à nous faire ressentir. Une sensation passablement rare au cinéma mais particulièrement intéressante. Ce bijou de Cronenberg parait un peu vieillot pour les plus jeunes, mais il reste néanmoins extrêmement efficace et mérite grandement d’être redécouvert durant cette période de pandémie.Joanny Combey