1996, période creuse pour le cinéma de genre. Personne n’attend grand-chose de Wes Craven depuis un Vampire de Brooklyn donnant des crocs à un Eddie Murphy déjà en pleine crise de transformisme. Déboule alors sans crier gare Scream, petit bombe horrifique remettant brièvement au goût du jour le frisson en salle obscure.
Pour un premier scénario, Kevin Williamson ne réinvente pas la roue et pond un whodunnit efficace tournant autour de l’identité d’un tueur masqué perturbant la quiétude de Woodsboro. Après le meurtre d’une étudiante, le tueur s’en prend à Sydney, jeune vierge effarouchée dont la mère est décédée il y a pile poil un an et pour un motif encore brumeux. A grand renfort de détails intriguants mis en avant de façon ludique par Wes Craven, le casting entier finit par éveiller les soupçons, du gentil flic un peu niais au père de Sydney mystérieusement disparu en passant par le petit ami ténébreux. Cela pour une révélation finale d’un machiavélisme sanglant plutôt bien amené. Question slasher, on est donc une coudée au-dessus de toutes les séquelles inutiles et navets cheap qui avaient jusqu’alors contribué à la décadence puis à l’extinction du genre dans les salles sombres.
Ce qui aura finalement assez mal vieilli dans Scream c’est cette déconstruction permanente du slasher qui s’opère dans ses dialogues et certaines situations. Tous les protagonistes ont vu à plusieurs reprises les Halloween, Vendredi 13 ou Freddy, en connaissent les répliques par cœur et font immédiatement le rapprochement entre les événements frappant Woodsboro et ces standards du genre. L’occasion de dialogues savoureux apportant une touche comique dans un film globalement sombre. Wes Craven, jamais le dernier pour se rendre hommage à lui-même, en profite pour lâcher quelques clins d’œil bien appuyés, allant jusqu’à apparaître déguisé en Freddy Krugger dans une scène calquée sur l’un des rêves du premier Nightmare On Elm Street. Ce côté méta et réflexif sur le film d’horreur et ses énormes poncifs, original à l’époque dans le cadre d’un film de genre, pourra paraître un peu daté maintenant qu’une multitude de films et séries affichent leurs modèles et références cinématographiques, cela quand les personnages principaux ne sont pas des geeks remettant en permanence l’action en perspective de leurs films cultes.
Niveau casting et pour le rôle principal, Wes Craven nous présente Neve Campbell, jeune actrice parfaite dans son rôle de jeune femme à l’ossature familiale et sentimentale fragilisée (une constante chez Craven) et rapidement obligée de sortir de son rôle de victime désignée, seule contre tous. A ce premier rôle beaucoup plus fort que la moyenne du genre (prenez en comparaison la Jennifer Love Hewitt de Souviens toi l’été dernier, encore sur un scénario de Williamson), Wes Craven brosse des seconds rôles attachants et dépassant le stade de cliché sur patte. Geek de service secrètement amoureux de Sidney, journaliste en quête de scoop et meilleure amie sexuellement très active (Rose McGowan et un pull qui décrochera les rétines de plus d’un teenager)… Évidemment, ces archétypes ont conscience du sort que leur réserverait un film d’horreur lambda et, de la direction d’acteur à la mise en scène, le film leur accorde le temps de s’épanouir un minimum pour développer l’attache émotionnelle nécessaire pour rendre les scènes d’attaques encore plus stressantes. Wes Craven trouve même avec Skeet Ulrich un proto-Johnny Depp en version bad boy pour incarner le petit ami de Sydney et boucler ainsi la boucle des références aux Griffes de la Nuit.
Au niveau des effets sanglants, Wes Craven y va franco dans l’horreur et réveillera même à l’époque le vieux débat sur la violence au cinéma à coup de teenageuse pendue les tripes à l’air. C’est sanglant, les coups de couteau sont douloureux, les jump-scares sont nombreux et le réalisateur se permet même une séquence d’ouverture d’anthologie. Un vrai modèle de tension grimpant crescendo et bardé de détails angoissants – bruit de popcorn et sonnerie de téléphone incessante – avec en bonus le court retour de Drew Barrymore devant une caméra. Pour le reste, le film aligne les jeux du chat et de la souris aussi jouissifs (le tueur s’en prend plein la gueule) que flippants entre un Ghostface charismatique et ses victimes.
Scream reste donc un classique et modèle du genre slasher. Vu la qualité du film et le plaisir ressenti même une fois le twist éventé, difficile d’accorder du crédit à certaines critiques percevant le second degré du film uniquement comme la preuve du cynisme d’un Wes Craven crachant dans la soupe et, par extension, sur son public. Ce serait oublier que Scream est l’un des très rares films à avoir su gérer l’équilibre entre satire du genre et vrai film de flippe. Enfin, du côté du spectateur dégoûté du genre après ses dernières séquelles ultra-prévisibles et mercantiles, il était difficile à l’époque de nier le plaisir à s’identifier aux personnages mis en scène et à ce cynisme mordant face aux conventions du slasher.
Critique par Alex B