On ne présente plus Shining, chef-d’œuvre incontournable de Stanley Kubrick, considéré par beaucoup comme l’un des meilleurs films d’épouvante de tous les temps. Cette adaptation du roman éponyme de Stephen King n’a pourtant pas ravi ce dernier : « Je ne comprends pas le culte autour de ce long-métrage […] Pleins de gens l’adorent, pas moi […] Disons que le livre est chaleureux, alors que le film est froid ».
Qu’à cela ne tienne, si effectivement Kubrick s’est éloigné du roman pour n’en garder que l’essence, le résultat a largement conquis la critique et le public.
Films-horreur vous propose aujourd’hui de découvrir le film sous un jour nouveau.
Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, Shining possède deux versions : une européenne, celle que nous connaissons, d’une durée de 119 minutes, et une autre distribuée aux Etats-Unis comprenant 25 minutes supplémentaires. Kubrick aurait procédé à des coupes pour la version européenne non seulement suite à des projections décevantes, mais aussi dans le but d’obtenir un film moins bavard et beaucoup plus axé sur la folie progressive du personnage de Jack Torrance – magistral Jack Nicholson – plutôt que sur la dimension surnaturelle.
En résultent deux films assez différents car effectivement, dans les 25 minutes amputées chez nous figurent des éléments renforçant le caractère fantastique du film. Citons par exemple la séquence où le jeune Danny se voit comme littéralement possédé par Tony, « le garçon qui vit dans sa bouche ».
Wendy, sa mère, déjà en proie à la panique et qui essaie de trouver une solution pour quitter l’hôtel, tente de ramener son fils à la réalité mais c’est désormais Tony qui s’exprime (« Danny n’est pas là, madame Torrance. Danny est parti ! »), le même qui les avait mis en garde contre l’hôtel Overlook à grand renfort de visions morbides. Une séquence particulièrement glaçante, intensifiée par une bande son qui mélange des battements de cœur avec la musique angoissante du générique d’ouverture.
Plus loin dans le film, un passage court mais mémorable : au moment où Jack armé de sa hache poursuit Danny dans le labyrinthe enneigé, Wendy se perd dans les couloirs de l’hôtel avant d’arriver dans le salon principal baigné d’une lumière bleue et occupé par une horde de squelettes. Si Kubrick incorporait jusque là le fantastique avec sobriété tout au long de son œuvre, le voilà qui cède à une imagerie bien plus conventionnelle, voire même datée, du film d’épouvante : toiles d’araignées, éclairage façon clair de lune… on se croirait presque dans le manoir hanté de Disneyland ou dans un vieux film de la Hammer ! Ce rajout amuse, tant il semble venir d’un Kubrick qui se moque des fantômes de l’histoire, détail qui ne l’intéresse pas. Il préfère se livrer à une introspection de la folie plutôt qu’à une histoire de bâtisse hantée, d’où la suppression logique de cet élément dans la version européenne.
Mais au delà d’une touche un peu plus explicite dans le domaine du fantastique, force est de constater que cette version longue bénéficie d’éléments qui développent la caractérisation des personnages.
Ainsi, au détour d’une séquence où Danny, après un malaise, est examiné par un médecin, on apprendra par les dires de Wendy que Jack a un passé d’alcoolique et que l’ivresse l’a conduit un jour à lever la main sur l’enfant. Dans la version européenne, l’alcool n’est abordé qu’au moment où Jack se fait servir un verre au bar de l’hôtel par l’énigmatique Lloyd. Kubrick étant connu pour détester les schématismes, on peut dès lors voir dans la suppression de la séquence du médecin une envie de se défaire du sujet de l’alcoolisme prisé par Stephen King (lui-même ancien alcoolique) pour traiter d’une démence bien plus profonde et complexe. Aussi complexe que l’architecture labyrinthique de l’hôtel Orverlook. Notons d’ailleurs le labyrinthe comme motif récurrent du film et qui relève de la pure métaphore.
Le personnage du cuisinier Dick Halloran, qui possède, tout comme le jeune Danny, le “Shining” (don médiumnique) a droit à davantage d’apparitions. Pressentant un funeste danger, il va se démener pour tenter de retourner à l’Overlook. Les ajouts le suivront à bord d’un avion, puis dans un garage à essayer de joindre l’hôtel sans succès, et pour finir au volant d’une chenillette. Mais rien de bien particulièrement intéressant ici, on ne regrette pas trop la disparition de ces petites séquences dans la version allégée.
Bien d’autres passages sont à découvrir, comme l’entretien prolongé de Jack au début du film avec le responsable de l’hôtel ou encore la visite des lieux. L’occasion d’en savoir un petit peu plus sur l’Overlook. Mais ne révélons pas tout ! Les fans du film de 119 minutes seront aux anges devant ces fragments dispersés qui permettent d’appréhender le long métrage d’une toute autre façon.
Pour certains puristes, cette version intégrale de Shining, assez méconnue en France, alourdit l’ensemble inutilement. Mais pour les autres, nous compris, c’est une manière jouissive et incontournable de redécouvrir le film de Kubrick en plus de permettre un passionnant travail d’analyse.
Critique par Sébastien D