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Suspiria

Affiche du film "Soupirs"

© 1977 Seda Spettacoli − Tous droits réservés.

Tu savais déjà que partir étudier à l’étranger c’était sympa seulement dans les film de Klapisch. Mais te retrouver comme Suzie (la belle Jessica Harper), jeune américaine et apprenti danseuse dans un bled perdu au fin fond de l’Allemagne des seventies, sa fête de la bière vintage et l’anti-américanisme bien imprimé dans les esprits,  là c’est vraiment la lose, et encore plus quand ton école abrite une sorcière bien vicelarde…

Achevée dans le Z le plus total avec « La Troisième Mère », portée par quelques scènes géniales dans « Ténèbres », la trilogie des « Trois Mères » ne pouvait probablement que s’enfoncer après « Suspiria », film où l’intrigue, somme toute très banale, s’oublie rapidement face au déferlement de sensations visuelles et sonores assaillant le spectateur.

Un véritable trip qu’Argento, alors très porté sur les paradis artificiels, alimente de ses obsessions picturales et thématiques. Pour « Suspiria », le réalisateur abandonne le giallo pour explorer des territoires plus fantastiques mais en conserve le sens chorégraphié des mises à mort. Un acharnement inventif – la première victime subit une variété de sévices qui pourraient remplir le quota de n’importe quel slasher actuel – pour des calvaires raccourcis à l’époque par tous les censeurs. Pour ces quelques scènes, le réalisateur prêtera à nouveau ses propres mains au tueur. Argento semble aussi renoncer au machisme qui lui était reproché jusqu’alors: l’enquête est ici menée par une femme et les hommes de “Suspiria” apparaissent diminués physiquement, mentalement ou hiérarchiquement, et sont tous relégués au rang de sous-fifres volontaires ou non d’une entité féminine les dépassants.

Au vu du résultat final, pas étonnant que l’idée de la trilogie vienne d’un autre grand artiste sous influence : l’écrivain britannique et opiomane notoire Tomas de Quincey qui fit vœu d’écrire sur les trois mères de l’enfer dans son « Suspiria de Profondis ».

Les générations éduquées aux Saw, leur body count métronomique et leurs ambitions zéro de mise en scène, s’ennuieront peut-être devant un film des seventies affichant un nombre de victimes relativement peu élevé. Mais le style est ici d’un tout autre niveau, créant des images singulières et angoissantes dès l’ouverture du film. De l’arrivée à l’aéroport jusqu’à la première victime, Argento semble ainsi carrément  filmer le climax de son film alors que le spectateur baigne encore en plein inconnu. Entre forêt hantée, pluie torrentielle et apparition spectrale, Suzy débarque en plein cauchemar et Argento nous y projette par l’utilisation tonitruante de la musique des Gobelin, une montage onirique et une maniaquerie du détail pictural.

Il y a de quoi être dérouté puis fasciné par cette obsession portée aux jeux d’ombres et lumières, aux couleurs criardes utilisées à outrance – merci le Technicolor – et se déversant dans des décors complètement hallucinants. Des lieux aux cheminements illogiques dans lesquels Suzy basculera telle Alice au travers du miroir. Car sous les apparences d’école pour jeunes filles de bonne famille, stricte et respectueuse des bonnes mœurs, se cache un autre univers, une micro société décadente et brutale qui se signale à tous moment du film par la direction artistique et mise en scène d’Argento. Les chorégraphies et contraintes physiques imposées aux jeunes filles se voient alors dédoublée en négatif lors des scènes de mise à mort, cela jusqu’à un final qui voit revenir l’une des victimes, changée en poupée morbide et contrôlée par la mère des soupirs.

Pour ceux qui ne connaitraient Dario Argento qu’au travers de ses récents métrages, avant de se transformer en faiseur de nanards ultra-sanglants et pas drôles, le réal’ italien n’avait pas volé son statut de réalisateur culte. Cela en partie pour l’expérience artistique inédite que pouvait alors représenter un “Suspiria” en 1977. Un caractère expérimental toujours d’actualité en 2010 et qui se (re)découvre avec plaisir.

Par Alex B

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