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Ténèbres

Affiche du film "Ténèbres"

© 1982 Sigma Cinematografica Roma − Tous droits réservés.

Après avoir traversé une « phase surnaturelle » fructueuse dont témoignent ses deux chefs-d’œuvre Suspiria et Inferno, Dario Argento revient avec Ténèbres à son genre de prédilection, le giallo. A partir d’un pitch plutôt simple mais efficace, Argento va mettre en œuvre tout le savoir-faire qui l’a révélé au grand public au début des années 70 pour produire une œuvre très stylisée et à l’intrigue haletante en suivant à la lettre les codes du giallo qu’il a lui-même contribué à établir au cinéma.

Le point fort du film serait à mon sens l’impressionnante maîtrise scénaristique dont il fait preuve : on sent que le réalisateur de L’Oiseau au Plumage de Cristal maîtrise parfaitement son sujet car il parvient à nous manipuler sans problème tout au long de l’intrigue. Pour qui n’est pas adepte du cinéma Argentesque, chacun des personnages fait tour à tour figure de coupable idéal : serait-ce Jane, la fiancée de Peter Neal, cette femme sublime dont les courbes généreuses semblent camoufler une pathologie aussi sombre qu’évidente ? Ou Christiano, le journaliste de télévision aux idéologies troubles qui laissent transparaître bien malgré lui une inquiétante fascination pour l’œuvre de Neal ? Ou encore Bullmer, l’agent véreux de l’écrivain, qui cache un secret bien gardé derrière ses sourires désintéressés ? Et la liste serait encore longue, car le talent d’Argento consiste précisément à se jouer de toutes nos attentes et à sans cesse remettre en question ce que nous tenions jusqu’à présent pour acquis. Enfin, le dénouement final s’avèrera assez surprenant même si légèrement bancal et carrément avare en explications ; l’utilisation de raccourcis scénaristiques un peu trop faciles à mon goût ôtant pas mal de clarté et surtout de crédibilité aux tenants et aux aboutissants de son histoire pourtant si bien menée jusqu’à ce point du métrage.

Fort heureusement, Ténèbres multiplie les scènes cultes, toutes plus jouissives les unes que les autres, et il me semble important de préciser que bon nombre d’entre elles doivent leur impact spectaculaire en grande partie à la musique qui les accompagne. Le thème principal du film est une fois de plus le fruit d’une étroite collaboration entre le réalisateur mélomane et le groupe de rock italien Goblin, dont les prodigieux talents de compositeurs-interprètes sont encore très loin de nous décevoir. Très stimulante, la bande-son achève de rendre certaines séquences absolument inoubliables ; citons parmi elles le long plan séquence en pano-travelling autour de l’immeuble de la jeune journaliste lesbienne et amie de longue date de Peter Neal, remarquablement bien réalisée autant sur le plan technique qu’esthétique ; ou encore la scène de l’attaque du doberman (les animaux domestiques forment décidément une réelle obsession chez Argento) dont la puissance d’une mise en scène réglée au millimètre près prendra aux tripes même les fans inconditionnels du réalisateur Italien.

Côté gore, Argento y va fort, comme d’habitude… A une première mise à mort plutôt ridicule et très mal découpée (celle de la bombe sexuelle Elsa Manni alias Ania Pieroni) se succèdent d’autres scènes extrêmement violentes, beaucoup plus convaincantes du point de vue de la réalisation et vraiment fort réjouissantes pour tout fan de gore qui se respecte. Le meurtre de Jane, avec ses effusions de sang outrancières qui repeignent entièrement les murs d’un blanc immaculé, devenu anthologique dans l’histoire du cinéma d’horreur, atteint des sommets de génie artistique en matière de grand guignol. Cette scène demeure tellement excessive et inattendue qu’elle nous arrache presque de force un petit sourire de connivence, tant on sent que le réalisateur s’est fait plaisir tout en s’efforçant de ravir ses fidèles spectateurs.

Comme cela a déjà été dit précédemment, Ténèbres constitue un retour aux sources presque indispensable pour le cinéma de Dario Argento. En se réappropriant les codes du giallo, celui-ci entame un nouveau tournant qui s’avèrera décisif dans sa carrière de réalisateur, le poussant à produire des œuvres aussi poétiques que fantastiques telles que Phenomena ou encore Opéra tout en suivant la structure narrative et stylistique du giallo. Dans Ténèbres, on retrouve de nouveau de nombreux plans subjectifs du point de vue du serial-killer ; une multitude de gros plans sur les mains gantées de noir de celui-ci (en réalité celles d’Argento lui-même) ainsi que l’utilisation massive des armes blanches (rasoir, couteau, hache, etc.) comme principal instrument de torture et de mort. D’ailleurs, la globalité de l’intrigue en elle-même fonctionne selon la logique d’enquête policière du giallo et peut s’apparenter à celle de L’Oiseau au Plumage de Cristal ou encore des Frissons de l’Angoisse.

En définitive, il s’avère que Ténèbres, s’il n’atteint certes pas le niveau d’excellence des premiers gialli d’Argento, constitue néanmoins un très bon divertissement mené de main de maître par le cinéaste Romain qui à cette époque comptabilisait déjà plus de dix ans de carrière derrière lui. Avec son rythme enthousiasmant, son atmosphère mystérieuse empreint de folie furieuse et son final très déroutant, le huitième film d’Argento aura de quoi ravir les fans d’orrore italiana autant que les adeptes de films policiers à l’ancienne qui ne lésinent pas sur les effets gore

Par Emmanuelle Ignacchiti

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