Après une exploitation en salle plus que minimaliste (une semaine, une salle), Territoires est désormais disponible en Dvd/Bluray. Critique d’une déclinaison assez bancale du survival en pleine nature…
Se démarquant du tout venant du film d’horreur, le projet avait de prime abord de quoi susciter quelques inquiétudes: pour son premier film, un réalisateur français s’attaquait au cinéma de genre, y ajoutant son grain de sel via une critique en filigrane de la politique extérieure américaine. Guantanamo version torture porn, pour résumer. Les influences de ce Territoires sont donc plus à voir du côté du Punishment Park de Peter Watkins, référence en matière de brûlot cinématographique brut de décoffrage, que du survival champêtre pur et dur à la Délivrance ou, plus récemment, Manhunt. Cette nuance tient dans le film surtout à l’identité des bourreaux, soit deux anciens soldats cultivant leur trauma irakien en kidnappant et torturant ceux qui auraient le malheur de ne pas ressembler à de parfaits américains caucasiens.
Le film débute sur une longue séquence montrant les deux psychopathes se présenter comme des douaniers et procéder à l’arrestation musclée d’une bande de jeunes revenant du Canada. Une première mise en tension très réussie et virant sur des bords d’autant plus malsains que nos pauvres victimes resteront crédules jusqu’au bout quant à l’identité de leurs ravisseurs. Vient ensuite un programme très élaboré de tortures physiques et morales mis en oeuvre pour briser très méthodiquement ces victimes. Une partie d’autant plus marquante que le réalisateur semble s’être intéressé de près aux « procédures » mises en place à Guantanamo, donnant à ces images un air d’effrayante réalité.
Survival, finalement ce Territoires n’en n’est pas un. La dynamique de ce genre – l’alternance capture/fuite – est quasi-absente et le réalisateur appuie trop régulièrement le caractère sans espoir de la situation pour que l’on puisse sincèrement espérer une issue heureuse. Un constat d’autant plus implacable que le film abandonne à mi-parcours le point de vue des victimes pour celui des deux ex-militaires avant de conclure sur celui d’un enquêteur parti sur les traces des disparus.
C’est malheureusement là que le bat blesse : à trop vouloir ne pas toucher au genre, le film en devient un peu bancal et tourne rapidement à l’exercice de style. Ce sacrifice du fond au détriment de la forme est criant dans la dernière partie, Territoires bifurquant vers un onirisme forestier à la David Lynch au détour du périple d’un enquêteur héroïnomane et faisant référence au détective œuvrant dans Psychose. Cette partie, tout comme la critique politique, n’est traitée que trop superficiellement et s’enfonce dans les clichés du film « esthétisant » avec sa nature belle et sauvage, contrepoint d’une humanité misérable et meurtrière. Avec du recul, cela donne souvent à l’écran une alternance de “oh le joli écureuil!” et de “aïe le marquage au fer rouge”.
La conclusion du film appuie un peu plus ce constat, le pseudo-nihilisme du scénario – extrémisme assez cliché et facile quand les idées sont rares – faisant difficilement passer la pilule d’un manque certain de développement. Autre reproche, ce Territoires s’appuie beaucoup trop sur quelques détails un peu “too much” pour entretenir sa tension. Question grosses ficelles on peut ainsi difficilement faire mieux que ce groupe de jeunes comptant un muet asthmatique et une fille atteinte d’une rage de dent…
On peut comprendre l’intention du réalisateur de zapper toute scène d’exposition pour happer brutalement le spectateur dans le film. Le tenir en haleine par la suite est une toute autre affaire et, pour seul véritable rebondissement, le film ne délivre qu’une fugace escapade, cela sans vraiment trop y croire, au milieu d’un flot de sévices rapidement répétitif.
Coquille esthétique croulant sous les références bling bling et film de genre à l’intrigue trop minimaliste, Territoires semble donc atteint du syndrome du « premier film à la française », cette envie de toucher à tout pour finalement ne rien saisir, et l’exercice en devient frustrant, voire énervant. Le jeu des acteurs, le caractère réaliste des exactions et la photographie soignée rattrapent un peu la donne. Mais reste l’impression d’être passé à côté du principal…
Critique par Alex B
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