Le PIFFF 2019 a pu tester la ténacité de son public, englué dans une semaine de grèves où les transports, aussi rares que les expressions faciales d’Helen Hunt dans I See You (voir plus bas) n’auront pas eu raison des fans de genre. Même si le festival accuse le coup d’une baisse de sa fréquentation, la superbe salle du Max Linder n’aura jamais fait peine à voir. Impossible en effet de résister à une programmation à la fois audacieuse et grand public, où les pépites novatrices s’intercalent entre deux séances cultes et trois métrages léchés. 7 jours, 15 courts, 27 longs, rétrospective de notre marathon.
Parmi les belles découvertes, on retiendra Colour Out of Space de Richard Stanley, qui transpose à l’écran la nouvelle lovecraftienne du même nom. Cette adaptation réussie offre à un Nicolas-toujours-aussi-Cage, un terrain de jeu étrange teinté de magenta surnaturel, où un père de famille fondu d’alpagas (au sens figuré), se retrouve confronté à d’autres fondus (au sens propre cette fois) dans une ambiance hypnotique et sensorielle qui sent l’étable rose, les corps en mutation, l’air chaud et le néon froid. Projetée en première française en présence de son réalisateur, cette épopée fantastique a sublimement ouvert le bal d’une semaine haute en couleurs.
Restons dans les teintes vives et les visions artistiques tranchées avec Why Don’t You Just Die ! , huis clos russe dirigé par Kirill Sokolov, qui ressort grand gagnant de cette édition 2019. Pour son œuvre coup de poing, le jeune réalisateur reçoit le prix du Jury Mad Movies ainsi que L’Oeil d’Or du public. Violente, astucieuse, entière, aux influences Park Chan-wookiennes et rappelant un Caro-Jeunet qui aurait mal tourné, cette satire de la société soviétique pousse ses personnages à l’extrême, dans une valse millimétrée de plans bien pensés et de musique ultra timée, terriblement efficace. Vise, objet japonais non identifié pondu par Yasuhiko Shimizu,obtient la mention spéciale du Jury Mad Movies pour sa singularité. Le métrage dissèque la question de la dictature du paraître, faisant des ponts entre chirurgie esthétique et inconfort sociétal, le tout traité sous un angle ludique et absurde, unique.
Qui dit chirurgie dit transition toute trouvée pour introduire le dernier gagnant de la compétition, I See You, d’Adam Randall (USA), avec une intrigue aussi tirée à quatre épingles que son héroïne (ça suffit maintenant les blagues sur Helen Hunt), et qui se voit décerner le prix Ciné+ Frissons. The Wave (Gille Klabin) a su attirer notre attention pour sa liberté narrative et visuelle, autant que le généreux Super Me (Zhang Chong) et le très beau The Nest (Roberto De Feo). Extra Ordinary (Mike Ahern et Enda Loughman) gagne sa place dans la catégorie des comédies indépendantes que l’on se plaira à revoir tandis qu’on laissera The Mortuary Collection (Ryan Spindell) au placard. Spiral, de Kurtis David Harder aurait pu frapper plus fort (Harder, haha ha), tout comme The Hole in The Ground (Lee Cronin) qui ne plonge pas assez profond dans sa pourtant intrigante thématique trypophobique.
Hors compétition, on applaudit bien fort le documentaire Archeologist of the Wasteland, portrait du plus grand fan de Mad Max 2 au monde, tiré par le réalisateur français Melvin Zed. Drôle, enthousiasmant et bien ficelé (pas besoin d’être spécialiste de la saga pour se prendre au jeu), il détrône dans notre cœur un autre documentaire présenté au PIFFF, l’intéressant mais très sage Leap of Faith : William Friedkin on The Exorcist d’Alexandre O.Philippe.
The Pool, du thaïlandais Ping Lumpraploeng se révèle comme l’une des petites bombes du festival, nous tenant en haleine de bout en bout avec son parti pris simple et malin . La séance interdite nous a présenté sur un plateau le touchant Mope de Lucas Heyne, qui relate l’histoire vraie de Steve Driver et Tom Dong (magistralement interprétés par Nathan Stewart-Jarrett et Kelly Sry), prêts à tout pour devenir les stars d’un autre type de plateau, celui des tournages de film porno. Enfin, clôturons notre rétrospective des longs avec le dernier film projeté lors de cette édition, Dogs Don’t Wear Pants, de J-P Valkeapää, une sensible vision amoureuse sur fond de bdsm.
Côté courts, on salue les trois primés : le petit bijou d’animation My Little Goat du japonais Tomoki Misato, le mordant Boustifaille de Pierre Mazingarbe, ainsi que Dibbuk, récit d’un exorcisme citadin réalisé par Dayan D. Oualid. Notons également les pertinents Ava in the End et In Sound, We Live Forever venus tout droit des Amériques, et réalisés respectivement par Ursula Ellis et Joshua Giulano. Le PIFFF 2019, c’était aussi l’occasion de (re)découvrir sur grand écran de merveilleux classiques, comme le génial Battle Royal (Kinji Fukasaku) et sa tonitruante BO, qui n’attendait qu’une salle comme celle du Max Linder pour prendre toute son ampleur, bravo.
En attendant de souffler les bougies des 10 ans, nous retiendrons de cette 9ème édition du PIFFF : des images à la pelle, des russes survitaminés, des japonais bien barrés, du gothique italien, du psychédélique américain, du croco thaïlandais, du désert australien, du cannibalisme à la sauce Deschiens, de l’engagement artistique, des cultures, des idées, le record d’ongles arrachés à la journée (petit péché mignon semble-t-il des réalisateurs du moment), des sourires sur les trognes et des yeux écarquillés, une équipe aux petits oignons pour un public de passionnés. 27 longs, 15 courts, 7 jours, allez patience, plus qu’un an et c’est reparti pour un tour. Hâte.
Par Cécile Métral