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[Rencontre] Julien Carbon et Laurent Courtiaud, réalisateurs des Nuits Rouges du Bourreau de Jade

A l’occasion de la prochaine sortie des Nuits Rouges du Bourreau de Jade le 27 Avril, nous avons eu la chance de rencontrer les réalisateurs pour une interview de près d’une heure !

Vous avez travaillé sur des scénarios depuis des années ensemble. Les Nuits Rouges du Bourreau de Jade est votre premier film, comment en êtes-vous venus à ce projet, vous aviez déjà une idée en tête de ce que vous vouliez faire ?

C’est vrai que depuis longtemps on voulait passer à la réalisation, depuis toujours en fait. Et l’opportunité s’est présentée parce qu’on a monté notre propre société, c’est nous qui avons enclenché les choses, on a monté notre compagnie à Hong-Kong. Donc on a commencé tout de suite à monter un projet pour réaliser et les choses se sont enclenchées rapidement, on a eu des investisseurs et une offre de co-production avec la France. Après l’idée du film à proprement parler, c’est parti d’un lieu à Hong-Kong, qui ne se trouve même pas dans le film d’ailleurs, on le voit juste dans un court métrage qu’on a fait avant le film. C’est dans l’ile de Hong-Kong où c’est très pentu, il y a souvent de longues marches, d’immenses escaliers ; en se baladant dans ce coin là on se disait que ça serait rigolo l’idée d’une femme qui se ferait poursuivre comme ça dans les escaliers, comme dans les Giallo, avec un assassin ganté peut être qui pourrait courir après elle. Ça a commencé un peu comme ça. Et puis après, sachant qu’on voulait travailler avec Carrie Ng, une actrice qu’on aimait beaucoup, l’idée d’un personnage de tueuse pour elle c’était déjà une idée qu’on avait et les choses se sont mises en place progressivement.

Comment vous êtes-vous répartis les tâches ? Réaliser à deux c’est un travail particulier, peut être plus facile finalement ?

On est assez interchangeables, une tête avec deux corps en fin de compte, on écrit de cette façon là depuis 15 ans ensemble. On se partage les tâches, il n’y en a pas un qui soit spécialisé dans un aspect particulier, on parle d’une même voix et au niveau pratique, ça nous permet d’être à deux endroits en même temps. Sur une scène par exemple, Julien pourra s’occuper des acteurs pendant que moi, je parle avec le chef opérateur, ou inversement. Et on ne va pas compter pour arriver à un quota de 50% chacun, on discute beaucoup, aussi bien dans l’écriture que dans la mise en scène. On a beaucoup d’influences communes et les mêmes références, on n’a jamais deux idées très différentes sur un même sujet. En général, cela se fait naturellement. Si l’on s’aperçoit que l’on fait face à une situation où il y a un problème à résoudre, on discute pour résoudre la chose. Cela nous permet d’avoir un recul immédiat, car si Julien par exemple fait quelque chose, c’est certainement ce que j’aurais fait aussi, mais le voyant le faire, ça me permet de voir si il y a un truc qui manque ou qui nécessiterait une relecture. Alors que quand tu es seul, tu as le regard plongé dans ta copie et tu ne vois pas tes propres erreurs.

D’où est venue cette histoire du Bourreau de jade ? C’est inspiré d’un film de John Woo, cette histoire légendaire du 1er empereur ?

Cela fait longtemps dans le cadre de nos scénarios et de notre travail avec les réalisateurs Hong-Kongais que nous avons pu avoir affaire avec à la culture historique chinoise. Ce qui est intéressant, c’est quand tu invente une histoire fantastique «non réelle» et que tu lui donne une certaine forme de véracité. On avait l’idée de ce poison pour venir compléter le personnage de tueuse et la façon de mettre en scène ces meurtres avec les pratiques SM. On a eu aussi l’idée d’intégrer l’opéra cantonnais pour raconter le background de notre histoire, à partir d’un film de John Woo, lui-même adapté d’un opéra cantonnais, une sorte de Roméo et Juliette avec des amants maudits qui finissent par se suicider ensemble. Un thème classique aussi bien dans la littérature occidentale que dans la culture chinoise. Ensuite, nous sommes allés chercher dans quel cadre historique l’intrigue pouvait s’ancrer pour lui donner une forme de crédibilité. Effectivement, le 1er empereur est mort empoisonné, et à cette époque, ils pratiquaient des tortures très sophistiquées, et il y avaient beaucoup de recherches alchimiques, ils cherchaient à prolonger leur vie avec le mercure. C’est une période qui a permis le développement d’une certaine médecine et d’acuponcture. Donc c’était assez probable qu’il y ait eu un chef exécuteur qui ait utilisé le fameux poison. Ça nous permet de franchir le pas vers ce qui nous arrange en restant sur une base crédible. (…)

Justement, cette réappropriation de la culture chinoise, comment est-elle perçue sur place ?

Aujourd’hui ils nous connaissent bien donc ils savent qu’on est des fous (rires). On aime beaucoup l’opéra cantonnais, c’est un art populaire qui survit difficilement à Hong-Kong ; c’est des gens qu’on aime bien donc ça s’est fait naturellement. Ça nous est arrivé d’aller voir des opéras cantonnais et on étais les deux seuls occidentaux dans la salle. Peut être la différence c’est que quand on est étranger et qu’on montre un intérêt pour la culture française, la France est assez flattée et ils pensent que tu marches vers eux. A Hong-Kong, ils trouvent ça normal et peu dérangeant. Comme on joue avec une mythologie très vaste et on extrapole, ça va. Mais si on faisait un film où était mis en scène le 1er empereur, là on nous aurait dit qu’on n’y connaissait rien en tant qu’étrangers. […]

Comment êtes- vous parvenus à l’idée de mettre en place ce face à  face entre la française et  Carrie. Comment vous êtes arrivé à l’idée de cet affrontement ?

D’abord c’était la nécessité bêtement pratique de la co-production. L’idée de départ était de faire un film avec un personnage de tueuse psychopathe et passionnante avec Carrie et à ce moment là il n’était question d’en faire qu’un film chinois. Et quand notre partenaire français nous a proposé d’en faire un film franco-hongkongais, on a décidé d’inclure des personnages français. On n’avait pas encore commencé l’écriture, donc rien n’a été changé. On a pris un personnage que l’on a transformé en française. On a eu à se poser cette question. Notre personnage principal reste toujours Carrie même si c’est la méchante. Elle reste tout de même notre héroïne. L’autre, c’est la gentille, enfin façon de parler puisqu’elle est cupide et tue son amant. Il n’y a pas vraiment de victime dans ce film, personne ne mérite de s’en sortir. On a décidé de jouer avec les stéréotypes et les fantasmes sur l’héroïne française dans le cinéma de genre. Dans le cadre de cet affrontement, on voulait aussi que cela soit un jeu de séduction entre les deux. Une forme de préliminaire permanent, d’asticotage. Qu’elles soient mises face à face, mais sans se croiser et sans se rencontrer réellement. Dans ce face à face, tu as la hong kongaise et la française, la brune la blonde, les couleurs de vêtement, toute l’imagerie. Après ça se décline de toutes les façons, dans la psychologie, dans leur action.

Cette opposition est vraiment flagrante dans la scène où Carrie vient présenter le parfum et qu’elle aperçoit Catherine …

C’est aussi une figure récurrente du cinéma de Hong kong où tu as l’affrontement  entre deux personnages hors norme. Et a partir du moment ou tu mets deux femmes au lieu de deux hommes, cela prend une tournure différente car tu as toujours une charge érotique dans ces films là. Tu mets deux femmes et cela  le devient  donc encore plus. C’était assez amusant de faire ce jeu là. On nous a souvent demandé de travailler sur des scripts qui intégraient des personnages occidentaux dans le cinéma d’Hong Kong qui tournaient souvent  aux clichés. L’exemple c’est Rush Hour. Les hong-kongais eux même sont prêts à accepter et à générer des caricatures de ce qu’est Hong Kong. A partir du moment ou tu intègres ce personnage d’occidental, c’était rigolo de jouer avec des codes liés à l’histoire de ces cinémas. […]

Pour ce qui est des références, on a pensé à Martyrs, à Freddy pour les griffes, est-ce complètement volontaire?

C’est pas tant que ce soit un clin d’œil mais forcément une fois que l’on a vu ces griffes et qu’on les a conçu comme instrument de torture… L’influence vient plutôt de Confession intime d’une courtisane, ou la méchante tue avec ses ongles, c’est plutôt ce coté art martial. Mais forcément tu as une scène ou tu as la méchante avec des griffes dans la main, tu as envie de les faire racler contre le mur. On assume complément. Si le lit de suffocation fait penser a l’Empire Contre Attaque, on va pas te dire, que non on a jamais vu ce film (rire) […] On reste quand même des gros cinéphiles et on avait  peur de faire un catalogue de référence.  Et c’est plutôt, chez les cineastes que l’on aime, les réponses qu’ils donnent à une situation, dans le cadrage ou dans la manière de découper.  C’est au moins pour nous d’essayer de pas reprendre littéralement les choses. Ce sont des solutions qui viennent naturellement. Les mêmes problèmes tendent a conduire aux mêmes solutions. Après, c’est fait avec plus ou moins de talent. Tu as juste  la question pratique de devoir faire quelque chose de beau avec ce que tu as sous la main, c’est à dire un bon directeur artistique et un bon chef op. Donc tu vas utiliser la lumière pour sculpter l’espace et donner du style et du cachet, des couleurs très marquées qui vont te donner une identité visuelle forte. C’est des problèmes auquel était confronté Bava par exemple, pas beaucoup d’argent mais c’est un brillant réalisateur et directeur artisique. C’est pas qu’on le copie mais c’est des solutions que l’on aime et auxquelles on pense parce que l’on a vu ses films. Ce ne sont pas directement des hommages. On voulait vraiment pas que ça soit un catalogue, une suite de clins d’oeil qui s’adressent au fan de ces films là. Forcément conscient et inconscient. On voulait surtout pas que ça soit un espèce de jeu de parcours. Et d’ailleurs ça serait certainement trompeur car il y a beaucoup de références qui ne sont pas  cinématographique. […]

Il y a une alternance entre des décors presque futuristes et des intérieurs qui correspondent à l’image traditionnelle que l’on se fait de la maison asiatique. Comment les avez vous mis en place ? Y avait-il une volonté d’illustrer un aspect de la société Chinoise ?

Pour les extérieurs, on écrit en fonction des lieux. C’est une méthode que l’on a apprise avec Wong Kar-Waï. Tu fais d’abord tes repérages et en fonction des lieux trouvés, tu fais tes séquences. Pour la plupart des extérieurs, c’est le cas, même si il y en a assez peu dans le film. Et pour le reste, le fait d’avoir une direction artistique très affirmée permet d’habiller le film quand tu as des moyens limités ce qui est le cas pour une série B à petit budget. Le fait de l’habiller comme ça place le film un peu hors du temps, et on voulait que que le film ne soit pas lié à une époque précise. Rien ne dit si le film se passe dans les années 70, 80 ou aujourd’hui. On a choisi les lieux en fonction de ça et pour les décors on a travaillé dans cette direction là avec le directeur artistique. Il n’y avait pas de volonté de représenter la société de Hong Kong c’est plutôt des envies esthétiques. On voulait une scène avec des mannequins, on voulait une pièce japonaise et pour la salle de torture, on a vraiment travaillé main dans la main avec le directeur artistique pour arriver à quelque chose où l’on ne sache pas trop où l’on est que  cela  soit un peu onirique. […]

Pourquoi et comment vous êtes arrivé à choisir Frédérique Bel ?

Nous étions depuis longtemps à Hong Kong et n’avions donc pas d’image préconçue d’elle. Nous n’avions pas vu La minute blonde par exemple. Le choix s’est fait sur elle, d’abord pour sa silhouette. C’est très rare dans les films asiatiques le fantasme sur la femme occidentale, mais quand ça arrive, elle est un peu représentée comme Bel. Chez Tezuka quand il dessine les femmes occidentales, elle ressemble à Bel ( le nez pointu, la silhouette, les jambes très fines ). quand on l’a vu la première fois, elle s’était un peu habillée dans ce style là donc on c’est dit c’est bon, graphiquement. Comme il y avait cette recherche de la confrontation visuelle, on avait dessiner son personnage très précisément.

Pour la musique, c’est le même groupe qui a composé la musique de Martyrs. C’était voulu dès le départ ou c’était le fruit du hasard ?

On a beaucoup réfléchis a la musique, sachant que l’on voyait bien qu’il y avait un tour un peu giallo la dedans. On voulait pas aller vers la solution d ‘amer par exemple, d’ utiliser des musiques dépoques, on a fait des essais avec des musiques provisoires pendant le montage, en utilisant des musiques vraiment très typées des années 60. Ça donnait un coté glacé trop distancié; Le partis dans amer fonctionne très bien car tout est conçu comme ça mais on c’est dit que chez nous ca fonctionnerait pas très bien. On a rencontré plusieurs compositeur et notre monteur, qui est celui de Martyrs, quand on a  commencé discuter de ça c’est lui qui nous a dit « pourquoi pas faire un essai avec Seppuku Paradigm ». On s’est rencontré, ils ont fait la musique de la séquence avec Bel qui est dans son appartement  car cette dernière était déjà pratiquement terminée et c’était exactement ce que l’on voulait. Ce qui est super, c’est que l’on est pas de la même génération, ils ont pas le même bagage cinéphiles que nous. Ils sont beaucoup plus libre dans leur approche de la musique. On leur a laissé vraiment toute liberté pour aller dans toutes les directions.

Vous préparez un deuxième long métrage (Trois jours ailleurs) avec Eric Cantona. On restera dans les mêmes thèmes ?

Ca se passe à Hong Kong. On a le casting, on est en attente pour voir si on va avoir tout le budget, c’est pas entièrement confirmé.  Donc c’est pour Alice  Taglioni , Eric Cantona et  Isaach de Bankolé. C’est une autre approche des occidentaux à Hong kong, plus comédie romantique action suspens et plus dynamique que les nuits rouges. Ce sera beaucoup plus rapide et il y aura plus d’action, un polar en fait.

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