Pouvez-vous nous parler de votre personnage, Teddy Daniels ?
Teddy est un U.S. Marshal, un policier fédéral. Lui et son équipier, Chuck, se rendent dans une institution pour malades mentaux située sur une île, qui est aussi une prison de haute sécurité. Ils enquêtent sur la disparition d’une patiente, mais au fil de l’histoire, on commence à comprendre que Teddy a une autre raison de se trouver là. Il veut enquêter sur un patient particulier, qu’il pense responsable d’un grand malheur dans sa vie.
S’agit-il du patient n° 67 ?
Précisément. Martin Scorsese s’attaque à un genre qu’il n’avait fait jusqu’ici qu’effleurer, et il le fait à sa façon unique. Le style rappelle Hitchcock et les classiques du genre tout en étant complètement et spécifiquement « scorsesien ». SHUTTER ISLAND est un thriller psychologique remarquablement puissant.
C’est un film qui donne la chair de poule, un film perturbant…
Absolument, mais il ne s’agit pas d’un de ces films de genre où vous vous attendez à recevoir votre dose de terreur régulièrement toutes les dix minutes. Même si ce film est extrêmement effrayant par moments, ce n’est pas un thriller de ce genre-là. C’est bien plus que cela. Il fonctionne à plusieurs niveaux. C’est à la fois plusieurs genres différents et plusieurs histoires simultanément.
Le tournage a-t-il été difficile ? Était-ce aussi tendu et oppressant que sur l’île elle-même ?
Pour être honnête, c’est le cas avec chacun des films de Martin Scorsese ! Je veux dire par là qu’il y a une certaine tension sur le plateau, parce que tout le monde prend ce qu’il fait très au sérieux. L’une des choses les plus difficiles pour moi sur ce film en tant qu’acteur a été les séquences de rêves et les flashbacks – ce sont des moments où la réalité de Teddy change d’un instant à l’autre. Vous ne savez pas ce qui est vrai ou pas dans ce qu’il voit, et observer comment Martin traitait cela était passionnant. Il faisait constamment évoluer son approche du film, il ralentissait la pellicule, il modifiait l’éclairage – on aurait dit une pièce de théâtre.
Quelle est la part du travail de Martin Scorsese dans le montage final ? Le résultat est-il tel que vous l’aviez imaginé ?
L’apport de Martin au niveau du montage est plus prolifique et plus intense que celui de n’importe quel autre réalisateur. Il travaille de façon incroyablement méticuleuse dans tout ce qu’il fait en postproduction : il s’assoit à côté de Thelma Schoonmaker et il avance littéralement image par image. AVIATOR est l’exemple même de cette approche. Il y a des choses que les gens ne verront pas même si cela fait dix fois qu’ils regardent le film. Dans la scène où Howard Hughes se rend à la première des ANGES DE L’ENFER, Marty voulait capter l’intensité des paparazzi, il a donc ajouté juste deux images d’un squelette à l’intérieur de mon corps. Cela évoque l’une de ces vieilles publicités subliminales des années soixante où l’on ne pouvait capter qu’un flash. Thelma et Martin ont vraiment fonctionné en duo dans cette salle de montage pendant un an après la fin du tournage.
SHUTTER ISLAND est votre quatrième film avec Martin Scorsese, et chacun appartenait à un genre cinématographique différent. Comment se déroulent vos différentes collaborations ?
Très simplement, parce qu’elles se déroulent à chaque fois de façon individuelle. GANGS OF NEW YORK fut la première. J’avais entendu parler depuis longtemps de ce film parce qu’il faisait partie des projets que Marty essayait de monter. J’avais toujours voulu travailler avec Martin Scorsese. Par chance, ça a fini par se faire. Puis il y a eu AVIATOR. J’avais développé le film avec Michael Mann pendant des années, et lorsque Michael est parti faire ALI, j’ai dit que j’aimerais le proposer à Martin Scorsese. Marty est tombé amoureux du genre et de l’histoire, et il a vu le projet comme un agréable retour à une époque différente. Nous avons eu la chance de pouvoir faire le film. Puis LES INFILTRÉS ont atterri sur son bureau parce que Bill Monahan avait écrit un scénario génial et qu’il y avait un rôle pour moi, et par chance là encore, le projet s’est monté naturellement. Tout cela n’a jamais été planifié. Comme dans la plupart des situations les plus créatives, tout est arrivé de façon naturelle. SHUTTER ISLAND est venu de nulle part lui aussi, et c’est un film d’un genre unique, complètement différent de ce que nous avons fait par le passé.
Scorsese est un véritable homme de cinéma. Vous a-t-il donné avant le tournage une liste de films à voir qui ont inspiré SHUTTER ISLAND ?
Il a fait bien plus que cela : il a organisé des projections. Il avait les copies originales, parce que c’est aussi un archiviste, un collectionneur. Il a sauvé des milliers et des milliers de films de la détérioration ; il s’est constitué une filmothèque. Avant que nous n’entamions le tournage, nous avons passé des journées à voir des films, pour étudier le travail de certains cinéastes ou des scènes précises qu’il voulait que ses acteurs connaissent. C’était comme un atelier avant qu’on ne commence vraiment à faire le film.
Quel genre de films avait-il choisis pour SHUTTER ISLAND ?
Nous avons vu LAURA d’Otto Preminger, LA GRIFFE DU PASSE de Jacques Tourneur, SUEURS FROIDES d’Alfred Hitchcock – beaucoup de films de détectives, des intrigues comportant un homme consumé par une obsession. Surtout des films policiers d’autrefois. C’était comme une leçon de cinéma, un cours express sur le genre de monde dans lequel vous vous apprêtez à pénétrer lorsque vous mettez le pied sur le plateau.
Pensez-vous vous être épanoui en tant qu’acteur en travaillant avec Martin Scorsese ?
Oui, naturellement. Ce qui est intéressant chez lui, c’est qu’il place toute sa confiance en vous en tant qu’acteur et dans votre opinion sur le fonctionnement de votre personnage. Bien sûr, vous devez de votre côté mériter cette confiance, et du plus petit rôle jusqu’aux rôles principaux, tout le monde doit arriver en ayant travaillé son personnage et compris qui il est. Vous devez avoir longuement réfléchi au développement de la personne que vous devenez sur le plateau. Même s’il sait ce qu’il veut, je crois que Martin navigue aussi à travers ses acteurs pour trouver son objectif définitif dans la maturation du personnage. C’est extraordinaire à regarder. Martin Scorsese est un maître dans l’art de montrer, de révéler la nature humaine.