Peu après avoir achevé son roman « Mystic River », qui allait devenir un film réalisé par Clint Eastwood, l’écrivain Dennis Lehane décida de changer radicalement d’univers. Il abandonna donc Boston et les dures conditions de vie du milieu ouvrier qui l’avaient rendu célèbre pour façonner un thriller extrêmement prenant à l’atmosphère oppressante, un roman terrifiant en forme de choc psychologique qu’il situa au beau milieu des années cinquante, au moment où la paranoïa de la guerre froide battait son plein. L’histoire de « Shutter Island » se déroule quelque part entre la folie et la raison, entre la vérité et les illusions, dans un univers où toutes les frontières sont brouillées…
« Shutter Island » mélange mystère gothique, littérature populaire, thriller, enquête policière, histoire de conspiration, roman d’angoisse et certains éléments horrifiques évoquant Edgar Allan Poe ; le tout crée un effet à la fois fascinant et dérangeant qui prend le lecteur par surprise et ne le lâche plus. L’histoire se déroule sur une durée de quatre jours seulement, sur une île isolée, dans un hôpital psychiatrique pour fous dangereux, au moment où frappe un ouragan particulièrement violent. Le livre raconte une enquête criminelle peu ordinaire menée par deux marshals débarqués sur l’île, coupés de toute communication avec l’extérieur. L’étau se resserre peu à peu sur les deux hommes, forçant le marshal Teddy Daniels à affronter un univers où l’esprit humain se déchaîne sans plus aucune entrave dans une folie meurtrière ; un monde de secrets déchirants, de souvenirs terrifiants et de vérités profondément enfouies.
Le livre repose sur l’énigme de l’impossible disparition d’une patiente, une meurtrière qui s’est échappée de l’établissement de sécurité maximale, mais au cours des rebondissements de l’enquête et du tour inquiétant et sinistre qu’elle prend, l’histoire aborde également des sujets comme le traumatisme persistant de la Seconde Guerre mondiale, le potentiel qu’offrait le XXe siècle en matière de grandes conspirations, le débat sur les traitements psychiatriques invasifs et surtout, l’extraordinaire faculté dont fait preuve l’esprit humain, en dépit des efforts scientifiques et juridiques, pour déjouer toutes les tentatives de contrôle.
Dans le New York Times, Janet Maslin qualifia le livre de « remarquablement original » et d’« instantanément cinématographique ». « Shutter Island » devint l’un des best-sellers de l’année 2003. Le producteur Bradley J. Fischer, un des associés de Phoenix Pictures qui produisait alors le thriller de David Fincher ZODIAC, acheta le livre dans une boutique à l’aéroport et fut tellement captivé par son atmosphère pétrie qu’il désira immédiatement l’adapter au cinéma.
Il raconte : « J’admirais énormément ce qu’avait écrit Dennis Lehane jusque-là, mais rien ne m’avait préparé à ce roman. C’est un thriller, un roman policier gothique, mais c’est aussi bien davantage que cela, parce que ce livre a une vraie profondeur et qu’il parle de questions morales extrêmement sérieuses. L’intrigue très dense, l’intensité de l’atmosphère qui plane sur toute cette histoire, les rebondissements et toutes les surprises vous happent et vous donnent le vertige. »
Dès qu’il put acheter les droits d’adaptation, Bradley J. Fischer se lança dans le projet avec le président de Phoenix Pictures, Mike Medavoy, et Arnold W. Messer, de chez Phoenix également. Fischer contacta Laeta Kalogridis, scénariste connue pour ses affinités avec le suspense et l’aventure et pour la complexité et la richesse de ses personnages. Les producteurs de chez Phoenix avaient travaillé avec elle sur le thriller d’action se déroulant à l’époque des Vikings PATHFINDER, LE SANG DU GUERRIER, et ils savaient qu’elle avait le potentiel créatif qu’exigeait l’adaptation d’un sujet aussi difficile.
Laeta Kalogridis, était très enthousiaste à l’idée de travailler sur le roman extraordinairement riche de Lehane, dont la narration progresse à l’aide de flashbacks, d’hallucinations et de fantasmes, et joue avec la chronologie et le caractère fugace et insaisissable de la réalité.
Bradley J. Fischer se souvient : « Laeta était aussi époustouflée que moi par l’histoire. Elle a identifié les différents fils de la trame de l’intrigue, les strates qu’il fallait équilibrer. Ce n’était pas une adaptation facile, loin de là, mais elle a exploré prudemment plusieurs directions pour les personnages, plusieurs façons d’introduire les flashbacks. Et elle a abouti à un scénario que Mike Medavoy et moi aimions beaucoup. »
Dennis Lehane a expliqué que son livre lui a en partie été inspiré par son amour des films de série B, et le scénario rappelait à son tour certains des grands classiques du cinéma de Hollywood, comme LAURA d’Otto Preminger et SHOCK CORRIDOR de Samuel Fuller. Il était évident que pour lui rendre justice, il fallait un réalisateur particulièrement expert en son art, possédant une grande culture cinématographique et étant solidement attaché à l’interaction psychologique entre les différents personnages.
Le premier nom qui vint à l’esprit de Bradley J. Fischer fut celui de Martin Scorsese. Les exécutifs de chez Phoenix contactèrent donc le réalisateur, sans trop d’espoir cependant, celui-ci étant toujours très occupé par de nombreux projets et venant en plus de remporter l’Oscar pour le thriller criminel LES INFILTRÉS. Pourtant, les choses n’auraient pu mieux se présenter. Non seulement Martin Scorsese était disponible, mais en plus, il se montra tout de suite passionné par le genre et les thèmes de SHUTTER ISLAND. Lorsque Phoenix lui envoya le scénario, il était en train de travailler sur la narration de VAL LEWTON : THE MAN IN THE SHADOWS, un documentaire sur la créativité particulière et l’influence des films d’horreur de la RKO des années quarante, tels que LA FELINE et VAUDOU de Jacques Tourneur. Scorsese était prêt pour aborder de façon moderne une histoire de terreur existentielle complexe.
Bradley Fischer explique : « Marty était séduit par l’idée de réaliser un conte d’horreur gothique dont l’action évolue dans l’ombre et le mystère. Il a sauté sur l’occasion et son enthousiasme a été instantané. Lorsque son agent m’a appelé pour me dire que Marty voulait réaliser SHUTTER ISLAND, il m’a dit : « Martin m’a expliqué que ce film lui rappelait un vieux film allemand, qui s’appelait… comment déjà ? Je ne me souviens plus du titre… ». Alors qu’il s’efforçait de s’en rappeler, j’ai levé les yeux sur le mur face à mon bureau, sur l’affiche encadrée de l’un de mes films préférés, un film muet de l’époque du cinéma expressionniste allemand. J’ai alors suggéré à l’agent : « Il vous a dit que cela lui rappelait LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI ? » Et le type a crié au téléphone : « Oui ! C’est ça, c’est le film dont il a parlé ! »
Bradley J. Fischer poursuit : « Apprendre que le script évoquait le même film à Martin Scorsese et à moi était absolument formidable. Et pourtant, ça ne me surprenait pas. J’ai toujours trouvé qu’il y avait des similitudes entre LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI et SHUTTER ISLAND. C’est un film que Marty admire et auquel il a souvent fait référence, parmi d’autres, pendant le tournage. À partir de là, tout est allé très vite. Ce que Marty avait vu dans l’histoire et ce qu’il avait décelé dans le sujet a rendu le projet encore plus riche, dense et passionnant que ce que nous imaginions. »
Martin Scorsese confie : « Dès la première lecture, le scénario de SHUTTER ISLAND m’a accroché. Je ne savais rien de l’histoire et j’ai commencé à le lire un soir vers 22 h 30, alors que je devais me coucher tôt parce qu’il fallait me lever de bonne heure le lendemain. Mais je n’ai pas pu poser le script avant de l’avoir terminé. J’étais surpris à chaque page par les différents niveaux de l’histoire. « J’ai ressenti un lien instantané avec le mélange des genres, du thriller noir à l’horreur pure. C’est le genre de film que j’aime voir, le genre d’histoire que j’aime lire. Au fil des ans, je me suis toujours gardé de faire un film qui prenne modèle sur ce genre de cinéma que je trouve pourtant riche et qui m’inspire, un genre auquel je reviens toujours en tant que spectateur. J’ai toujours été attiré par cette sorte d’histoire. Je trouve intéressante la manière dont l’histoire change et évolue perpétuellement, dont la réalité glisse sans arrêt. Jusqu’à la toute dernière scène, tout repose sur la notion de perception de la réalité… »
Dès le début du projet, le réalisateur a projeté des films soigneusement sélectionnés aux acteurs et à l’équipe technique, certains célèbres et d’autres méconnus, qui touchaient aux thèmes et aux genres que l’on retrouve dans SHUTTER ISLAND. Parmi ceux-ci figuraient LAURA d’Otto Preminger (1 944), LA GRIFFE DU PASSE de Jacques Tourneur (1 947), FEUX CROISES d’Edward Dmytryk (1 947), sur le meurtre d’un soldat juif après la Seconde Guerre mondiale, LA MAISON DANS L’OMBRE, un drame policier de Nicholas Ray (1 952), ou le premier film de Karl Malden, LA CHUTE DES HÉROS (1 957), un drame psychologique dans lequel un soldat américain passe en cour martiale. Il leur a montré également LE PROCÈS d’Orson Welles (1 963), adaptation du conte surréaliste de Franz Kafka dans lequel un homme est inexplicablement enfermé pour un crime inconnu, ainsi que les documentaires de guerre de John Huston LA BATAILLE DE SAN PIETRO et LET THERE BE LIGHT, qui portait sur le syndrome de stress post-traumatique des soldats revenant du combat. Il a projeté des films d’horreur tels que LA MAISON DU DIABLE de Robert Wise et LES INNOCENTS de Jack Clayton, et plusieurs des films produits par Val Lewton qui jouèrent un rôle essentiel dans la passion que Scorsese a développée pour les films d’horreur, dont LA SEPTIÈME VICTIME de Mark Robson, dans lequel une jeune fille cherche sa sœur, disparue après avoir subi l’influence d’une secte satanique.
Un documentaire essentiel a été inclus au programme : TITICUT FOLLIES, réalisé en 1967 par Frederick Wiseman, un film très controversé et même interdit pendant un certain temps qui se penchait sur le traitement et les conditions d’emprisonnement des criminels à la prison d’Etat psychiatrique de Bridgewater, au Massachusetts. Toute l’équipe a ainsi pu avoir un aperçu de l’inhumanité des asiles dans les années cinquante et 60, avant que les réformes modernes n’imposent une amélioration des conditions de vie des patients et ne fassent de leurs droits une priorité. Au Massachusetts Correctional Institute for the Criminally Insane de Bridgewater, les patients étaient dévêtus, enchaînés au mur de leur cellule, nourris de force et privés de la plus élémentaire dignité. Le film eut un très fort impact à l’époque : peu après sa sortie, l’opinion publique fut tellement outrée qu’un recours collectif en justice fut lancé contre Bridgewater, ce qui entraîna des changements permanents dans la façon dont les institutions d’État étaient gérées dans le pays.
Bradley J. Fischer note : « TITICUT FOLLIES a permis aux acteurs et à l’équipe technique d’avoir une vision directe du genre d’univers que nous allions dépeindre dans le film. Ce fut une expérience très marquante pour nous tous. »
Très intéressant, merci 😉
bonjour
je voudre savoir si quelqun a vu le filme shutter island et aussi achete le livre du shutter island
merci de me repondre